Au sortir du mess, Kosan navigua dans le sillage de Lupin. Chasseur patient, il gardait une distance raisonnable avec sa proie et la suivit un long moment, assez pour ne plus sentir l'empreinte des mots glacés de Cassendi. Ce ne fut qu'après avoir passé deux coursives et grimpé au niveau des cabines que le directeur de théâtre avisa un coin tranquille pour s'arrêter. Kosan fondit sur lui et eut toutes les peines à dompter les élans colériques de sa voix.
— Tu savais ?
Car si Lupin connaissait les intentions du général à son égard, il avait donc trahi un ami en les accueillant à bord de la Mauvaise Graine.
Toute trace de bonhommie avait déserté les bajoues rougeaudes. Du haut de sa vénérable taille, de sa colère percluse de déception, Kosan aurait dû intimider le petit sous-fifre de la résistance. Cela aurait été mal connaître Lupin. Ses pupilles s'assombrirent comme un ciel chargé d'orage ; un orage qui ne saurait éclater. Sa voix et son attitude ne trahirent aucun débordement.
— J'étais au fait de son projet d'attaque. En revanche, je n'imaginais pas qu'il irait jusqu'à t'empêcher de repartir en cas de refus...
— Tu aurais dû t'en douter.
— J'aurais dû, et qu'est-ce que cela aurait changé ? Ton message de détresse mentionnait une nécessité de secours immédiat, pas un village de survivants dans lequel vous auriez sans doute pu — et dû — demeurer au lieu de nous contacter.
Pour la première fois, Kosan comprit l'image du couteau qu'on remuait dans la plaie. La pique de Lupin mordit à pleines dents ses entrailles. Au lieu de reconnaître son tort, Kosan contre-attaqua :
— Tu ne peux pas être d'accord avec ce qu'il s'apprête à commettre !
Le calme froid de Lupin s'avérait aussi contagieux que sa bonne humeur. Lorsqu'un rictus attristé déforma sa bouche, Kosan regretta presque son emportement.
— J'aurais préféré un mode d'action moins radical, mais Cassendi n'a pas tort. Cette guerre dure depuis près de trois ans et le pouvoir des Nuages continue à nous rire au nez, à décliner toute demande de négociation et à nous considérer comme d'infâmes terroristes. Si c'est l'étiquette qu'ils veulent nous coller, alors je suis prêt à assumer un véritable acte de violence.
— Mais les conséquences...
— Permettraient à Monade de prendre un nouvel envol, d'en finir pour de bon avec cette ségrégation mortifère qui considère ceux d'en bas comme du bétail.
Lupin soupira avant d'ajouter :
— De toute façon, la décision est déjà prise, que nous soyons d'accord ou non.
L'abattement alourdit ses épaules, tua toute velléité combattive. Kosan se laissa tomber contre la paroi arrondie du dirigeable, perdu entre deux eaux. Sa voix se réduisit en un minuscule chuchotement.
— Je ne vous ai pas rejoints et aidés pour voir Cassendi devenir un nouveau Kengé. Je t'en prie, Lupin, il doit y avoir un autre...
— Je ne renoncerai pas à la lutte. Tes révélations sur ces survivants qui subsistent à l'Extérieur font miroiter un joli avenir, mais jamais je ne me résignerai à fermer les yeux sur les horreurs qui sévissent sur Monade. J'aimerais pouvoir t'aider à fuir avec Hélios, mais Cassendi me ferait exécuter, et ma troupe a besoin de moi.
Kosan non plus ne pouvait pas se résigner à fermer les yeux, à vivre dans l'insouciance et l'oubli pendant que d'autres se cassaient les dents à renverser un système nécrosé. Il aurait simplement voulu... que les choses soient plus faciles.
—Tu devrais aller retrouver ton ami, reprit Lupin après un temps suspendu. Ils l'ont enfermé dans tes anciens quartiers. Ne t'étonne pas de les trouver dépouillés, nous avons dû vendre un maximum pour payer les ravitaillements.
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Entelechia
Science FictionÀ Monade, voir le ciel est un privilège qui se mérite. Les classes souterraines suent sang et eau pour un rayon de soleil. Il existe pourtant un moyen d'accélérer le processus : se vouer corps et âme à l'Entelechia. Mais ceux qui s'y risquent n'en g...