Acte II, scène 21

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Hélios hissa Kosan contre son épaule — ou plutôt, Kosan l'employa comme béquille, étant donné sa grande taille. Ils crapahutèrent jusqu'à la première sortie à droite. L'Aile semblait connaître le chemin et le fit bifurquer dans un escalier qui plongeait dans les tréfonds de l'île.

En dépit de leur mauvaise passe, un cortège bigarré d'émotions assaillait Hélios, ainsi collé à l'homme qui le draguait quelques semaines plus tôt dans ce modeste tiki bar. Cet homme qu'il avait aimé, s'il en croyait les bribes de souvenirs infâmes que lui avait transmis Kengé. Il n'osait plus espérer ces retrouvailles depuis son refus de coopérer. Alors leur proximité improbable aurait peut-être suscité son émoi... sans ce sang qui détrempait sa chemise en lambeaux.

La descente se révéla longue et laborieuse. Kosan serrait les dents à chaque dénivellation, mais nulle plainte ne franchissait ses lèvres. Pas question de ralentir ; leurs pas avalèrent les marches avec la mollesse d'une coulée de miasmes dévalant un talus de déchets.

Puis s'arrêtèrent net.

Une vitre donnait sur un corridor en contrebas, parsemé de hublots qui offraient une vue imprenable sur le vide. Hélios frémit au mauvais souvenir que cette vision réveillait. Mais il y avait plus inquiétant : une marée de bottes affluait.

— Il va falloir courir.

Déjà, Kosan se précipitait dans l'escalier ; et lâcha un râle de douleur.

— T'es pas en état.

Le faire remarquer ne rimait à rien. Le blessé lui renvoya un rictus ironique.

— Si je n'arrive pas à te suivre, ne m'attends pas.

L'Aile dégaina son arme et poursuivit la descente. Ses paroles avaient figé Hélios. Le cœur dans les talons, il ne voulait pas — ne pouvait pas — envisager cette hypothèse. Pas alors qu'il venait de le retrouver. Il la chassa avant qu'elle ne l'envahisse, et se précipita à sa suite.

Un tourbillon de lumière le happa : Kosan ouvrait la voie et fit feu dans la masse. À une vingtaine de mètres, les gardes surpris par leur irruption se positionnèrent en formation de tir. Hélios vida son arme à son tour, sans réfléchir, sans viser. Juste tirer, courir, tirer, tourner... Et Kosan ? L'idiot couvrait ses arrières. Le Nerf le tracta avant qu'une deuxième balle se montre moins clémente.

Ils s'engouffrèrent dans un autre escalier. Ils dévalèrent plus qu'ils ne descendirent la spirale en colimaçon, au rythme des exclamations des poursuivants et des déflagrations qui les frôlaient. Le souffle manquait à Hélios. Enfin en bas ! Une dernière porte, un dernier sprint...

— À terre !

L'ordre de Kosan n'imprima pas dans sa tête ; Hélios se retourna pour le voir presser un étrange boîtier.

Le feu rugit des escaliers. La bouche béante déversait son torrent de destruction. Un rideau noir voila le spectacle : Kosan se jeta sur lui lorsque la déflagration les engloutit. Le souffle les écrasa comme les mâchoires d'une broyeuse.

L'acteur reprit ses esprits devant la scène d'un brasier qui grignotait jusqu'à l'acier de la structure. Le crépitement des flammes avait remplacé les haros des miliciens. Hélios rejeta l'idée de leurs corps calcinés dans ce carnage ; loin, très loin. Il prit appui sur il ne sut quoi et tenta de se redresser. La « terre » tanguait. Le choc l'avait sacrément sonné. Non, le sol tremblait vraiment ! Kosan venait de faire exploser une bombe sur une structure précaire suspendue à des centaines de mètres de la surface. À quoi s'attendait-il !

Son regard affolé balaya les environs et trouva l'Aile assommée.

— Kosan, réveille-toi ! On peut pas rester ici !

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