Acte II, scène 8

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Les costumes tournoyaient sur scène en volutes colorées. Les pirouettes de danseurs munis d'éventails singeaient les envolées d'aras à la pleine lune. Hélios avait découvert ces animaux exotiques pas plus tard que la veille, en accompagnant Kengé pour une visite de courtoisie dans la demeure d'un élu du Conseil. Bien sûr, le Nerf n'avait pas été convié à leur réunion, aussi s'était-il perdu dans les allées de la ménagerie enchâssée sous une verrière cuivrée. En admirant les plumages chatoyants des volatiles, il avait compris la fascination des Ailes et leur volonté de les imiter dans leurs spectacles. En revanche, il s'attristait de les savoir prisonniers pour le plaisir égoïste des yeux de quelques nantis.

Oserait-il la comparaison avec sa situation s'il était moitié moins aussi attrayant que ces nobles oiseaux ? Il coula un regard discret vers Kengé, absorbé par la performance scénique. Puis se refrogna dans son fauteuil en soupirant.

Six jours depuis son départ avorté, six jours qu'il jouait la comédie auprès de son « hôte » dans l'espoir de susciter sa confiance. Mais Kengé n'avait toujours pas dévoilé la moindre intention néfaste à son égard, ne lui avait posé aucune question sur sa troupe ou Kosan. À croire que l'Aile reprenait le cours de leur histoire là où elle s'était arrêtée il y a deux ans.

Hélios serait tenté de croire en sa sincérité. Il s'était même laissé convaincre par cette sortie au théâtre. Le Nerf s'était attendu, naïvement, à retrouver les codes austères de la tragédie classique dont raffolait le Givre d'Or. Assister à un tel déferlement de sons et de couleurs le laissait bouche-bée.

Le Dais du Loup appartenait pourtant au répertoire des drames classiques. Peu joué, car ses orientations oniriques ne trouvaient pas d'écho dans les tendances actuelles, cette pièce n'en demeurait pas moins un chef-d'œuvre. C'était la première fois qu'il la voyait interprétée de manière si... originale.

L'acteur principal s'élança pour réciter un dernier monologue. Les mots s'évaporèrent crescendo de sa bouche et se muèrent en psalmodie gutturale. Son corps vibra dans une transe déchaînée au rythme des tambours. Hélios dressa un sourcil surpris, puis se laissa emporter par le bouquet final : une explosion de danses hypnotiques et de musiques intenses.

Le rideau se ferma et un tonnerre d'applaudissements baigna la salle. Kengé s'y joignit avec retenue, Hélios l'imita. Puis le duo quitta la loge, suivi d'une trainée de gardes. L'acteur peinait à s'habituer à leur présence discrète. Il reporta plutôt son attention sur le président qui lui rendit un sourire.

— As-tu aimé ?

Le metteur en scène se gratta un menton dubitatif.

— Ma foi, je ne m'attendais pas à ça. C'était... inspirant.

Son hôte pouffa d'un rire attendri, qu'il étouffa aussitôt qu'une silhouette s'immisça en travers de leur route.

— Kengé-dao, quel immense plaisir de vous trouver ici. J'espère que vous avez apprécié le spectacle au moins autant que...

L'intrus, étiré en longueur comme un échassier, s'interrompit d'un sursaut en remarquant la silhouette pale qui se détachait du président. Son trouble l'empêcha de retrouver ses mots. Une réplique de Kengé rapporta l'attention sur lui et le fil de fer s'efforça d'ignorer la présence incongrue du Nerf.

Hélios leva les yeux au ciel le temps de ce bref échange de politesse. Ce n'était pas la première fois qu'il suscitait ces réactions outragées. À défaut d'en prendre ombrage, il s'en amusait.

— Je devrais porter un nez rouge et une perruque multicolore pour leur donner une vraie raison de s'étrangler à ma vue, lâcha-t-il une fois que Kengé eut pris congé de son interlocuteur.

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