Acte V, scène 19

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Hélios s'approcha de la coiffeuse. Il hésitait : Carine ruinait ses apprêts capillaires à coups de gestes rageurs. Mais le rideau allait bientôt se lever, et les comédiens n'étaient toujours pas prêts.

— Je peux t'aider ?

Elle sursauta et tourna des yeux rougis vers lui, qu'elle s'empressa de cacher.

— Non, ça va.

— Je peux rappeler Fanta-sa si tu veux.

La maquilleuse qu'Aroyo leur avait trouvée pour cette représentation.

— Non merci.

Les doigts de fée de Luduvine — restée aux Alpines — devaient manquer à Carine. Hélios soupçonnait plutôt qu'elle ne se faisait pas à la coiffure trop sophistiquée de Lucia Bellamonte.

Mila, la tenante habituelle de ce rôle, était retenue pour une affaire urgente ailleurs. Carine s'était portée volontaire pour la remplacer, tandis que Sophie interpréterait Giulia à sa place. Son amie en deuil achevait donc de transformer l'œuvre de Fanta en un amas chevelu négligé.

Hélios contint un soupir de dépit. Si le public s'interrogeait, il prétendrait un choix artistique assumé. Il y avait peu de chance que ce détail soit ce qu'il retienne de cette représentation.

— Voilà, c'est mieux comme ça, conclut Carine d'un ton pincé en abdiquant devant le miroir.

Elle pivota sur son siège pour refaire face à Hélios avec une tentative de sourire. Sourire qui dégringola dès que son regard eut balayé le costume de l'acteur.

— Tu es... très élégant, admit-elle d'une voix brisée.

Il est vrai qu'engoncé dans son pourpoint brodé de fils d'or et drapé de sa cape de soie, Hélios prenait des airs d'authentique héros romantique. Aroyo n'avait pas lésiné sur le budget pour rendre cette représentation remarquable. Mais ce n'était pas ce que voulait dire Carine.

Hélios rapprocha une chaise et enserra les épaules de son amie dans un geste de réconfort.

— Pas autant qu'Edmond, je sais.

Il avait bien fallu que quelqu'un joue Pietro Da Fiori, le premier rôle, à sa place.

— Tu lui feras honneur, n'est-ce pas ?

— Je ferai de mon mieux.

— Il n'en aurait pas douté.

Ses fossettes se plissèrent malgré ses yeux embrumés, et Hélios ne put s'empêcher de froisser davantage ce massacre de chignon pour consoler son amie. Si Mila incarnait à merveille l'orgueil de Lucia, Carine n'aurait pas besoin de se forcer pour jouer son chagrin.

— Il aurait été fier de toi, lui assura-t-il.

Elle hocha placidement la tête, puis sa voix se perdit dans un murmure à peine audible.

— Il me manque.

Moi aussi, voulut répondre Hélios, mais on tira subitement le rideau des loges et une face maquillée à outrance passa dans la fente de tissu.

— Alors, les jeunes, vous êtes prêts ?

— Oui, Aroyo-sa, j'arrive.

— Paaaarfait. Le général vient d'arriver et la salle est pleine à craquer, on va pouvoir frapper le brigadier !

L'Aile martelait le parquet du grand théâtre de Malombo d'une cadence si énergique qu'Hélios devait trotter pour la suivre. Elle allait disparaître aussi vite qu'elle venait d'apparaître, alors l'acteur songea qu'il valait mieux lui dire ce qu'il avait à dire maintenant. Pas sûr qu'il en ait l'occasion plus tard.

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