Il entendit à peine le cri de Naomi dans le sifflement de l'air. Il retrouva son ami le vide. Le traumatisme n'eut pas le temps de resurgir que déjà : le choc.
Ses organes remontèrent en pagaille, menaçant de s'éjecter de cette carcasse qui ne cessait de les malmener. Collision brutale, suintante, mais étouffée contre le matelas de chair qu'était devenu l'Aile mort. Au silence de plomb qui prenait ses aises dans le patio, Hélios se demanda s'il partageait le funeste destin de son ennemi. De sa première victime. Quelle ironie... Il avait fui la faucheuse maintes fois en funambule audacieux, et alors qu'il ripostait enfin, il tombait.
— Hé... Hélios ?
Un mort entendrait-il la voix timide de Naomi ?
— Tu... Tu vas bien ?
La question était hésitante. Elle craignait qu'on ne lui réponde pas.
Hélios voulut faire l'effort et descella ses mâchoires ; un piètre gargouillis au goût ferreux en sortit. Bizarrement, il ne ressentait plus la douleur subséquente du crash de la Mauvaise Graine. Même, ses muscles le soulevèrent sans difficulté quand il s'évada de l'étreinte du cadavre.
Une part de lui sut qu'il allait le regretter, mais une autre insista pour que ses yeux s'ouvrent. Pas longtemps, mais c'était déjà une demi-seconde suffisante pour le marquer à vie. Le visage de l'Aile n'était plus un visage. Il détourna la tête. Un haut-le-cœur menaça de régurgiter le contenu de son estomac. Rien ne vint.
Pourtant, la sensation de malaise ne le lâchait pas. Il sentait un ver se faufiler entre ses entrailles et les ronger à l'acide. Il ne ressentait aucune douleur, mais la gêne psychologique était insupportable. Il se serait ouvert le ventre s'il avait eu un couteau à portée de main, rien que pour en extirper ce parasite imaginaire.
— Hélios ! appela un peu plus fort Naomi.
Cette fois, il se retourna. Le soulagement qui avait pu effleurer ses traits, en le voyant vivant, fut soufflé comme une feuille d'automne ; troqué par une horreur fascinée. Hélios fronça des sourcils interrogateurs.
— Naomi ?
— Euh... Tu...
Le geste compléta les mots. Naomi balaya son corps d'une main, et Hélios baissa les yeux sur le sien.
Il était maculé de lévitorium.
La sensation poisseuse imbibait sa chemise et s'ébaudissait sans retenue sur sa peau, à travers ses plaies. Le sang argenté du mutant imprégnait le sien. À la nausée s'ajouta l'étourdissement, il sentit le monde vaciller sous ses pieds, redouta une seconde qu'on eut fait exploser un autre réacteur sous Centrale, avant de se rendre à l'évidence : il était contaminé.
Yandé avait soufflé sur ses craintes avec ses fables de résistance, mais cela devait bien avoir ses limites. Certes, les Ailes savaient fusionner l'or argenté à l'Homme ; dans des conditions autrement plus contrôlées qu'un mélange barbare et des méthodes d'apprentis sorciers.
Hélios attendait la vague de panique qui le noierait. Rien. Une étrange fatalité l'habitait. Les tragédies classiques ne se soldaient-elles pas par la mort du héros ?
Si le rouleau l'évita, il éclaboussa en revanche Naomi. Cinq mètres les séparaient, pourtant Hélios avait l'impression de l'observer à la loupe. Pire, son cerveau enregistrait, analysait et déconvoluait le moindre micro-mouvement de ses muscles faciaux. Le processus imprimait un résultat précis, limpide et sans ambiguïté de ses états d'âme.
— Tu devrais aller te rincer à la fontaine... Enfin, ce qu'il en reste... et... trouver un coin où te cacher.
Elle ne voulait pas qu'il remonte.
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Entelechia
Science FictionÀ Monade, voir le ciel est un privilège qui se mérite. Les classes souterraines suent sang et eau pour un rayon de soleil. Il existe pourtant un moyen d'accélérer le processus : se vouer corps et âme à l'Entelechia. Mais ceux qui s'y risquent n'en g...