Les lumières timides de l'aube transperçaient les fenêtres de la salle du Conseil, éclairant les traits exténués de l'assemblée qui n'avait pas chômé de la nuit. Après l'attaque terroriste des Traverseurs sur l'île vivrière de Sambala, nous avions été convoqués pour une réunion exceptionnelle. À chaque nouveau rapport de dégâts, de nouvelles mesures d'urgence étaient votées, dans la hâte et la fatigue.
Le président n'était pas là, il faisait acte de présence sur les lieux du désastre pour montrer son soutien à la population. Dans les faits, on déplorait peu de victimes. Les Traverseurs avaient surtout détruit les installations agricoles, mis à sac les entrepôts et pris quelques otages à rançonner.
C'était l'adjoint de Kengé qui le représentait pour cette séance. Le pauvre homme semblait totalement dépassé. Sadaou est une enflure, mais je lui reconnais un acharnement démesuré et un investissement sans faille pour le travail. S'il pouvait se dédoubler pour être partout à la fois... C'est d'ailleurs ce qu'il a fini par faire, avec ses clones au lévitorium.
— Nous n'avons pas le choix ! Nous devons augmenter les quotas de denrées alimentaires en provenance de la Surface.
— Oui, et les Terreux vont accepter ça sans broncher ? Rivière Loudanet a déjà tiqué après les dernières négociations de givrire. Le préfet acceptera l'augmentation, par obligation, en revanche, les Rotules qui vont devoir mettre les bouchées doubles... Ce sont eux qui vont venir grossir les rangs des terroristes ! Et ça, un homme comme Cassendi l'a forcément anticipé.
— Oh, donc c'est à nos citoyens de se serrer la ceinture pour épargner quelques fragiles en bas ? Et puis quoi encore ?
À quatre heures et demie du matin, et après cinq cafetières, les débats ne volaient plus très haut. J'avais hâte de pouvoir intervenir sur les sujets qui concernaient mon domaine d'expertise, notamment la sécurité des liaisons aériennes et l'accueil des habitants de Sambala sur d'autres îles...
La porte s'ouvrit à la volée.
Kengé marqua son entrée fracassante et, de sa seule présence, transforma la cacophonie en silence religieux. Les deux mains campées sur l'emblématique table d'ébène du Conseil, il asséna son sermon tel un pasteur prosélyte de l'ancien temps.
— Conseillères et conseillers, nous traversons un moment critique, une épreuve qui ne peut que nécessiter des sacrifices...
J'admire ton talent d'acteur, mais Sadaou se défend bien dans ce domaine, lui aussi. Son discours misérabiliste se poursuivit en poncifs, éculés mais efficaces. Ses mots tragiques auraient fait pleurer une statue et son sens de l'exagération aurait mobilisé bambins et vieillards dans cette guerre contre le terrorisme. Tout semblait si bien ficelé, si propice... à croire qu'il avait orchestré ce cirque. La conclusion ne me surprit pas :
— Et c'est pourquoi je vous demande de m'accorder les pleins pouvoirs, ce qui, dans un tel contexte, est un déplaisir malheureusement nécessaire.
Nous échangeâmes des œillades avec Iwo et Massafi, deux conseillers que nous avions ralliés à notre alliance avec M'Bahla. Kengé nous devançait. Cette attaque survenait trop tôt. Je grinçai des dents.
Sans surprise, les mains se levèrent en cadence. Massafi hésita puis, voyant Iwo suivre le mouvement, se résigna à obtempérer. Seuls mes bras restèrent effrontément immobiles. Je jouais avec le feu ; la colère qui bouillonnait en moi l'alimentait. Bien sûr, Kengé darda son regard de rapace sur moi.
— Eh bien, Kosan, ne penses-tu que la sécurité de nos citoyens en vaille la peine ?
Si la provocation éhontée choqua les autres conseillers, ils se gardèrent bien de moufter. Le spectacle de leurs chaussures ou de leurs stylos devenait soudain bien plus intéressant.
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Entelechia
Science FictionÀ Monade, voir le ciel est un privilège qui se mérite. Les classes souterraines suent sang et eau pour un rayon de soleil. Il existe pourtant un moyen d'accélérer le processus : se vouer corps et âme à l'Entelechia. Mais ceux qui s'y risquent n'en g...