Acte IV, scène 6

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À genoux dans la terre humide, le dos vaincu par une bruine froide, Hélios repiquait des plants de carottes. Les ongles incrustés de terre, il se retenait de pester contre les graviers qui barraient le chemin de son transplantoir. Il n'aimait pas le jardinage. D'un autre côté, il n'aurait pas manqué de provoquer des accidents au pôle construction où travaillait Mitraille, ou d'empoisonner quelqu'un en officiant aux cuisines. Quant à s'occuper des enfants... Après deux jours à loger avec deux bambins de deux ans, il avait compris qu'il n'avait pas la fibre. Peut-être enseigner les lettres aux plus âgés ?

Hélas, le village ne laissait guère de place aux activités littéraires. Encore moins au théâtre. Un projet à mettre en place, sans doute. Toute communauté a besoin de distractions en guise de soupape...

— Tu t'en sors ?

Hélios releva la tête vers Aymeric, l'ex-Talon qui le formait au maraîchage, et lui adressa un sourire radieux en guise de réponse.

— Parfaitement !

Pas question de se plaindre alors que ses hôtes les accueillaient le temps que Kosan se rétablisse.

Ce dernier surgit justement dans son dos, alors qu'Hélios se relevait en étirant les courbatures qui l'engourdissaient. Loin des habits chics qu'il avait portés le soir de sa représentation dans les Nuages, il revêtait un pantalon trop court pour sa taille d'échalas et un haut aussi informe que rustique. Un camouflage presque parfait, si l'on oubliait sa pigmentation et ses manières précieuses...

Kosan semblait remis de ses soucis de santé, Hélios voulait l'espérer. Il avait bien surpris quelques messes basses et regards inquiets entre lui et Yandé. Quelles conséquences attendre d'une exposition sévère aux radiations ? Hélios le savait bien pour avoir vu le destin de nombre d'habitants du Lisier s'achever prématurément. Il ne voulait pas y songer pour Kosan ; le présent lui convenait très bien.

— Tu as besoin d'aide ? proposa l'Aile.

Hélios s'amusa à l'imaginer à quatre pattes dans la boue. Sans doute une première pour lui. Mais il venait de terminer sa besogne et n'avait donc pas besoin de lui infliger cela. Il salua Aymeric et entraîna Kosan vers les sous-bois.

La promenade lui rappelait celle qu'ils avaient menée en silence juste avant la représentation sur Silimsha. Un silence alors oppressant. Aujourd'hui, ils se sentaient plus apaisés. Enfin réunis, sans contrainte, sans épée de Damoclès sur la tête. Ou presque.

Ils s'assirent sur les berges d'un étang moucheté de lentilles d'eau, le village en hauteur projetait les ombres du soir sur la colline. Sur la surface vaseuse, le clapotis des nasses de pêcheurs ajoutait ses notes au concert de la faune d'insectes locale.

— J'ai parlé à Yandé, entama Kosan. Elle est d'accord pour me laisser utiliser sa radio et envoyer un message aux Traverseurs, à condition que je leur donne un point de rendez-vous à l'écart du village.

Logique. Même codé, un message pouvait toujours être intercepté et décrypté. De plus, même si l'ancienne scientifique ne l'admettrait pas, elle ne voudrait pas risquer de voir des membres utiles de sa communauté s'engager dans une résistance persécutée et violemment réprimée.

— Tu veux donc t'en aller.

— Je ne t'oblige pas à me suivre.

— Mais je vais te suivre.

Les stridulations des criquets comblaient le silence, jusqu'à ce que Kosan lâche un soupir.

— J'espérais que tu choisisses de rester. Tu es en sécurité ici, tu n'as pas à te soucier de ton œil. Si tu intègres les Traverseurs, on t'imposera très probablement de rester confiné, par mesure de précaution. Tu ne pourras participer à aucune mission, je ne pourrai te livrer aucune information sensible, mais, en cas d'attaque, tu seras soumis au même danger. Ce n'est pas une vie.

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