Kosan maugréa en silence contre les coups frappés à la porte. S'il ne dormait plus depuis près d'une heure, ce n'était pas le cas d'Hélios. Son amant était plongé dans un sommeil salvateur que seule une respiration profonde perturbait. Ses boucles noires, humides de sueur, collaient sur ses paupières ; Kosan n'osait les déloger, de peur de le déranger. Il n'osait plus bouger tout court, quand bien même son bras et sa jambe se retrouvaient perclus de fourmis.
Hélios avait passé tant de temps à veiller sur lui lorsqu'il était malade ; il lui devait au moins la pareille. Et puis... Pourquoi aurait-il voulu briser cette stase bienheureuse ? Il ne se lassait pas de sentir son souffle tiède percer à travers ses lèvres rosées.
Bon sang... Deux ans qu'il ne s'était rien passé entre eux et il était toujours aussi entiché. Où en seraient-ils aujourd'hui si leur sort ne s'était pas acharné contre eux ? Les muscles de Kosan se contractèrent contre sa volonté.
Le sort avait un nom.
Un nom qui avait bafoué ce qu'il avait de plus précieux. Un nom qui paierait.
Les coups redoublèrent contre la porte et Kosan se décida à se lever pour les faire taire. Il se dépêtra le plus délicatement possible de l'enchevêtrement de bras et de jambes. Hélios grogna. Puis se rendormit aussi sec.
L'Aile ne trouva que ses vêtements de la veille à se mettre sur le dos : la chemise empruntée aux villageois et déjà usée bien avant qu'il n'en fasse usage. Il faudrait vraiment qu'il leur dégote de nouveaux habits.
Il ouvrit enfin la porte. Le garde qui s'acharnait dessus sursauta ; une secousse du Quetzal l'obligea même à s'accrocher contre le chambranle pour ne pas valdinguer. Quand il se remit au garde-à-vous, sa tremblote ne l'avait pas quitté. Il flottait dans son treillis trop grand et ses joues toutes lisses rosirent. Les Traverseurs recrutaient au berceau, maintenant ?
Kosan avait conscience de faire du mauvais esprit. Il connaissait la situation précaire des rebelles. Il faisait néanmoins confiance à Cassendi pour lui trouver des gardes plus expérimentés s'il venait à refuser son odieux marché.
— P-pardon de vous déranger, Monsieur, enfin, non, je veux dire Manda... Non ! Manga-dao ?
Encore noyé dans les embruns du sommeil, Kosan n'eut d'autres réactions qu'un clignotement fébrile des yeux. Il ne savait même pas s'il devait s'amuser de la maladresse du jeune homme ou s'exaspérer du rappel à son ancien statut.
Il ne voulait plus être une Aile.
Il ne voulait plus rien qui le rapproche de Kengé.
— Qu'est-ce que vous voulez ? demanda-t-il d'une voix enrouée, mais à peu près cordiale.
— Oui, je, pardon, c'est Monsieur Malherbes, il m'a demandé de vous dire qu'il vous attendait au mess. Il souhaite vous parler.
Kosan grimaça au souvenir du lieu des remontrances de la veille. Il provoqua aussi une marée de gargouillis dans son estomac, fragilisé depuis ses soucis de santé. Il ne renâclerait pas devant un bon repas.
— Merci.
Il abandonna le garde devant son guet et se rendit au réfectoire des officiers. Le trajet fut bien plus prompt que la veille. Son esprit s'était éclairci et une entrevue avec Lupin, mandant un bleu pour le convoquer, n'était pas de nature à raviver ses inquiétudes.
Dans le mess, la lumière cognait aux carreaux et ondoyait sur les lasures azurées des revêtements. Un air d'atmosphère sous-marine à deux mille mètres au-dessus du sol.
Par chance, Kosan ne repéra aucune trace du général ou de ses pontes. En cette heure avancée de la matinée, le coin était même plutôt tranquille. Plusieurs officiers de navigation terminaient leur quart et prenaient leur petit-déjeuner avec Lupin.
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Entelechia
Science FictionÀ Monade, voir le ciel est un privilège qui se mérite. Les classes souterraines suent sang et eau pour un rayon de soleil. Il existe pourtant un moyen d'accélérer le processus : se vouer corps et âme à l'Entelechia. Mais ceux qui s'y risquent n'en g...