Acte V, scène 17

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Kosan n'attendait rien de moins du défilé militaire de la place Mosanga : un déferlement exhaustif et clinquant ; une démonstration de force et d'autorité. Entre les chars briqués, les armes flambant neuves et les costumes d'apparat, Cassendi envoyait un message clair : le pouvoir, c'était lui, désormais. Il fallait lui reconnaître cet atout, l'ancien chef d'état-major avait réussi à s'affirmer et fédérer les forces miliciennes au lendemain de la mort du président. Une prise en main nécessaire alors que l'attentat avait plongé la ville dans le chaos et le doute.

L'ex-conseiller était arrivé en retard, alors il jouait des coudes pour remonter la foule jusqu'au périmètre réservé aux « personnalités importantes ». Être responsable de la chute des îles lui conférait visiblement ce statut particulier. Kosan s'en serait bien passé.

Derrière le rempart compact de badauds, l'avenue dégagée brillait de splendeur, démarquée par des lampadaires décorés de lys, de fanions ondoyant aux couleurs de la paix. On ne dirait pas qu'une guerre avait sévi une semaine plus tôt. Le contraste avec la Surface était saisissant.

Kosan s'était rendu en bas avec Lupin, Mila et le reste de la troupe. Sur les trois îles crashées, l'une avait ravagé quatre quartiers de la ville. Il s'agissait d'évaluer l'ampleur des travaux de déblaiement, mais il apparut bien vite qu'il vaudrait simplement mieux recouvrir la zone de terre et en faire un mémorial. Carine avait été inconsolable en comprenant qu'on ne retrouverait jamais le corps d'Edmond. En dépit du chagrin de l'actrice, la troupe pouvait quand même se targuer d'avoir sauvé des milliers de vies grâce à leur évacuation vers la Plante.

L'Aile était presque arrivée au niveau du cordon de sécurité quand une voix familière l'apostropha — non, elle cracha plutôt un venin létal dans son dos.

— Espèce de monstre !

Kosan se retourna à temps pour se protéger des griffes de Sara fonçant sur lui. À des lieues de sa mise soignée lors de leur dernière rencontre, elle s'était vêtue le plus simplement du monde, sans doute pour se fondre dans la foule. Ses gardes ne l'accompagnaient même pas. L'auraient-ils dissuadée ?

Le frère indigne n'avait évidemment pas recontacté sa sœur depuis l'attaque, sa colère était attendue. En revanche, il n'avait pas anticipé un assaut physique. Une offensive lancée sur un coup de tête, car la proximité des gardes la rendit aussitôt inopérante. Deux sbires de Cassendi fondirent pour maîtriser la présidente d'Icarus. À défaut des griffes, il lui restait les vociférations.

— Sale bâtard ! Dire que je t'ai fait confiance... Tu m'as menti sur toute la ligne ! C'était du flanc aussi cette histoire avec Marnie ? Je te hais, je te hais tellement ! Tu n'es plus mon frère.

Et dans une attitude dépourvue de dignité, elle envoya un inélégant crachat à ses pieds. Kosan demeura figé, estomaqué. Pas tant par les propos, plutôt parce qu'il n'avait jamais vu sa sœur perdre ainsi son sang-froid. Pour le reste, il l'avait bien cherché.

Bien vite, les gardes évacuèrent la fautrice de trouble. Kosan dénicha le responsable de la sécurité dans la masse et l'arrêta d'une main sur l'épaule afin de lui glisser :

— S'il vous plaît, je ne veux pas qu'elle ait de problèmes. Laissez-la repartir.

Le gradé acquiesça placidement. Difficile de savoir ce qu'il allait faire de cette recommandation — Kosan n'était pas habilité à donner des ordres — il ne s'inquiétait cependant pas : une immunité avait été négociée pour sa sœur et ses amis, conformément à leur accord.

Il passa le cordon et retrouva une majeure partie des visages familiers des Traverseurs. Il en quêtait un en particulier.

Il reconnut le carré soigné de Mila avant ses yeux gris d'acier affuté. Aujourd'hui, ils ne brûlaient pas de leur flamme furibonde, ils semblaient égarés dans le vague, fixés sur le défilé sans le voir. Il s'installa à ses côtés, sans chercher à initier une conversation. Il connaissait assez son caractère particulier pour comprendre qu'elle n'était pas disposée.

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