Acte IV, scène 3

98 21 40
                                    

Il pleuvait.

Le ciel, pourtant dégagé en début de soirée, s'était alourdi de nuages sombres. Le tonnerre grondait, quelques rais de lumière pourfendaient le paysage opaque, au loin. L'obscurité était totale ; une aubaine pour Hélios : il préférait ne pas savoir où on les escortait. Et ne pas avoir à se justifier auprès de Mitraille.

La pluie verglaçait ses épaules peu couvertes. Le sol s'était incliné sous ses pieds. La boue et le ruissellement rendaient la grimpette périlleuse. Cela ne ralentit pas le pas assuré des trois guides imposés, pressés d'atteindre leur camp.

La petite fille qu'Hélios avait rencontrée dans l'après-midi avait parlé et un groupe de quatre éclaireurs s'était dévoué pour s'enquérir du danger potentiel de ces intrus. Entre un malade et un jeune homme chétif qui connaissait l'une d'entre eux, leurs craintes furent bien vite apaisées.

L'averse redoubla, ils accélérèrent. En vain ; Kosan traînait la patte à l'arrière, malgré les encouragements conjugués d'Hélios et Mitraille.

L'Aile suivait. Vaillamment. Sans broncher. Mais s'était réfugié dans la même apathie qui l'avait aidé à traverser la Non Zone.

Hélios aurait aimé éviter de bouger le malade dans son état, mais Mitraille lui avait fait miroiter le secours d'une certaine Yandé.

Un nom totalement inconnu, mais porteur d'espoir. Une Aile. Bien qu'il déteste leur classe, il reconnaissait sans tergiverser la supériorité de leur savoir médical.

Quant à ce que Mitraille, son amie du Lisier, fabriquait à l'extérieur en la compagnie d'une bande bigarrée, la longue randonnée lui délia la langue :

— Je suis montée là-haut il y a deux ans. J'ai essayé de résister, de me convaincre que notre famille ne tiendrait pas sans moi, mais — elle soupira — c'était trop dur sans toi et Crevé. C'était peut-être égoïste, et puis, pourquoi ne pourrais-je pas l'être moi aussi ? Bref, j'ai pris l'ascenseur, je suppose qu'on a dû voir les mêmes choses...

— Tu te souviens ?

Le frère et la sœur soutenaient Kosan, chacun sous une épaule. Ils parlaient à travers l'Aile comme s'il n'était plus en mesure de les écouter. Sans doute valait-il mieux que cela soit le cas.

— Ils t'ont effacé la mémoire ?

La question de Mitraille semblait sincère. Hélios s'en étonna.

— C'était convenu.

— C'était convenu.

— Pas toi ?

Un silence s'abattit sur l'orage. Un nouveau soupir, et Mitraille reprit :

— Non, puisqu'on s'est enfui au lieu de repasser par le Cœur.

Hélios haletait dans la montée, sous l'effort, ou bien l'idée que certains aient pu se soustraire à l'impitoyable système lui coupait le souffle. Il se sentait surtout moins seul. D'autres que Kosan et lui avaient rejeté Monade !

Quoique Kosan s'accrochait à sa toxique mère patrie de toutes ses faibles forces.

— Raconte-moi, lança Hélios sans réfléchir.

Puis un rappel traitre à sa condition d'espion malgré lui le piqua. Si Kosan avait été en état de protester, sans doute aurait-il interrompu sa sœur. Mais Hélios était las, agacé de Monade, éreinté par la faim... Si Kengé avait voulu les cueillir, il l'aurait fait depuis longtemps ! Peut-être jouissait-il de les voir lentement dépérir aux portes de sa ville, peut-être les avait-il simplement oubliés au même titre que des cloportes dégagés à coups de balais... Hélios ne voulait plus y penser.

EntelechiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant