Kosan baladait une main distraite sur le bois vermoulu. Autour de la charpente apparente et désossée, s'enroulait un lierre fatigué. Sa croissance s'arrêtait là où le feu avait grignoté le bâtiment.
Sara et lui venaient ici dans leur enfance. D'anciens locaux d'Icarus où leur père aimait parader autant que resserrer sa férule ; ses enfants dans son sillage, pour leur donner un aperçu de leur devoir futur.
Puis ce qui devait arriver arriva : le personnel, en majorité blanc ou immigré, s'était mis en grève pour une raison oubliée de l'Histoire. Une semaine, deux semaines... Au bout d'un mois d'occupation des locaux, l'armée était intervenue et le sang avait coulé. Comment l'incendie s'était-il déclaré ? Kosan, désormais adulte et moins naïf, avait bien sa petite idée. Officiellement, l'enquête n'avait jamais pu l'établir. Une centaine de disparus et des locaux irrécupérables. Mais l'argent des assurances permit à leur père de reconstruire plus grand ailleurs.
Depuis, l'île était à l'abandon. Quelques employés de Lev'Energies s'assuraient de vérifier la stabilité du réacteur à intervalles réguliers, les fantômes l'habitaient le reste du temps.
Les cicatrices de cette tragédie brûlaient encore ses doigts, les murmures du vent soufflaient les lamentations de ces destins sacrifiés.
Un grondement rompit la litanie. Un dirigeable se posait.
Kosan se figea entre deux panneaux de tôle calcinée et serra la crosse de son arme contre son ventre. Tout se jouait maintenant. L'aérostat devait repartir ou la discussion se terminerait avant d'avoir commencé.
Les moteurs se remirent en route et l'appareil décolla. L'Aile poussa un soupir de soulagement, quand bien même les difficultés ne faisaient que commencer.
Sara avait accepté la rencontre avec une facilité qui avait décontenancé Kosan. Elle devait avoir quelque chose à lui dire. Si cela n'avait été que pour le livrer à Kengé, elle n'aurait pas fait montre de tant de diligence. Sa sœur composait avec les puissants, mais elle ne leur avait jamais léché les bottes. L'Aile déchue avait donc eu moins de vingt-quatre heures pour se préparer. C'était peu. Trop peu.
À peine le temps de faire ses adieux à Hélios.
Des bruits de course remuèrent les herbes ou la poussière alentour. On fouillait la zone, et par « on », Kosan comptait au moins dix soldats. L'Aile maugréa, il n'allait pas pouvoir rester caché plus longtemps.
Il émergea, l'arme en évidence, au centre de la bâtisse noircie et d'un cercle de gardes. Des privés d'Icarus, pas la milice. Cela ne suffit pas à conjurer sa nervosité.
— Il devait s'agir d'une rencontre privée, grinça-t-il entre ses dents.
Elle était là. Dans les rouleaux de lumière qui perçaient les restes éventrés de l'ancien entrepôt, droite et fière, comme toujours. Elle lui paraissait si petite, cintrée dans un tailleur en wax dont les hirondelles des motifs s'apprêtaient à décoller. Petite, mais loin d'être impuissante.
Ses macarons crêpés s'agitèrent sur son crâne alors que Sara le dévisageait de haut en bas, comme un inconnu. Sans le quitter des yeux, elle adressa un signe de tête à l'homme à sa droite.
— Capitaine Nasuo ?
— Nous avons quadrillé le périmètre. Rien à signaler.
— Bien, disposez et veillez à ce que personne ne nous dérange.
La voix de Sara savait se faire douce et inflexible à la fois. Un mélange aussi fascinant que dangereux qui hérissa un frisson le long de l'échine de Kosan. Qu'importe son expérience des discours politiques, il n'avait aucune chance de convaincre une femme habituée à ce que le monde lui mange dans la main.
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Entelechia
Science FictionÀ Monade, voir le ciel est un privilège qui se mérite. Les classes souterraines suent sang et eau pour un rayon de soleil. Il existe pourtant un moyen d'accélérer le processus : se vouer corps et âme à l'Entelechia. Mais ceux qui s'y risquent n'en g...