Acte V, scène 14

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Les soldats quadrillèrent la pièce et inspectèrent meubles et recoins à la recherche d'un piège. Rien. La voie semblait désespérément vide. Cassendi éructa :

— Il n'est pas jamais ici ! Il n'a jamais été ici ! Grâce à tes instincts infondés, ce lâche s'est envolé dans la nature !

Une fureur clairement dirigée contre Kosan. L'abattement gagnait l'assemblée autour.

— Ces gardes n'auraient pas protégé un bureau vide. On doit passer à côté de quelque chose...

L'Aile s'efforçait de garder une contenance, de se raccrocher aux dernières branches de l'espoir. Hélios le comprenait : ils ne pouvaient pas avoir fait tout ça pour rien !

— Ah ça, pour passer à côté de quelque chose...

Les brumes du lévitorium éloignèrent Hélios de la dispute. Ses sensations altérées déplaçaient des montagnes dans sa caboche. Hagard, il se fraya un chemin entre les troupes occupées à saccager l'endroit à la recherche d'on ne sait quel secret sensible du pouvoir.

Les feuilles et les babioles volaient dans son sillage. Mila lui suivait prudemment. Au fond de la pièce, le moniteur de l'Œil trônait, réparé, encerclé par un groupe de soldats perplexes. Le glacis convexe aussi lisse et brillant qu'un miroir donna des sueurs froides à Hélios.

Dans sa tête, des souvenirs flous s'agitaient. Puis, l'évidence lui sauta à la figure.

Le soir de sa tentative d'assassinat dans ce bureau, il n'était pas ressorti par la même entrée. Muhammad l'avait traîné aux geôles par un escalier étroit. Le contact du béton rugueux le rudoya encore. Kengé avait ouvert une porte quelque part

Frénétique, Hélios se mit à fouiller derrière les étagères, non loin de la console de l'Œil. C'était par ici.... Forcément par ici...

— Hélios, qu'est-ce que tu fabriques ?

Il ignora Mila. À la place, il ravala la nausée et se força à appeler les éprouvantes séquences mémorielles. Un grésillement irrita son crâne, sa rétine brûlait et sa vision se flouta de tâches grises. Le fantôme d'une main se glissa entre deux manuels pompeux. Hélios l'imita. Un renflement anormal s'érigea sous ses doigts. Il pressa le bouton et un grincement résonna.

Derrière l'armoire qui pivota, un escalier plongeait vers les ténèbres.

Les vociférations du général se turent à l'instant.

Un moment de grâce qui ne dura pas, car Mila bouscula Hélios sans ménagement. Lui-même ne réfléchit pas davantage : il réarma la mitraillette glanée contre son bras, puis s'engouffra à son tour dans le passage. Kosan les suivit.

Tout le monde semblait être parvenu à la même conclusion : le président avait fui par ce passage secret.

La voix furibonde de Cassendi reprit du service et tonna des ordres à ses troupes démobilisées. Hélios l'entendait du bas de l'escalier, déjà loin.

Le couloir des geôles s'étirait comme un long boyau pestilent. La lueur chartreuse des néons offrait à intervalles réguliers un aperçu de l'horreur prégnante. Bien que le tout soit d'une propreté clinique abjecte, les sens affutés d'Hélios éprouvaient la douleur, la barbarie et l'inhumanité qui avait souillé chaque cellule de cet enfer. Même désert, l'endroit était encore hanté de ses spectres.

— Hélios, attends !

Kosan s'époumonait pour le rattraper, mais le Nerf ne se sentait pas de réduire l'allure. Une force gravitationnelle colossale semblait l'attirer vers le rai de lumière encadrant la sortie. Une force animée par un désir : en finir.

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