Le jour disparaissait peu à peu à l'horizon. Les teintes chaudes du soleil couchant rendaient l'atmosphère étonnamment douce et chaleureuse. Les ombres des monticules semblaient s'étirer à l'infini. Vestiges d'un temps passé, les imposantes silhouettes d'immeubles trônaient dans le lointain comme autant de colosses tombés de leur piédestal. La végétation alliée au temps avait fini par avoir raison de ces monstres qui n'étaient désormais reconnaissables que par quelques endroits où métal et pierre jaillissaient encore. Quelques éclats de vitres reflétaient les derniers rayons du soleil. Ces carcasses à moitié désossées rappelaient que ces masses avaient été autre chose. Qu'elles avaient eu une autre vie. D'ici quelques dizaines d'années, la nature aurait fait son œuvre. Ces vestiges du passé seraient soit retournés à la terre, soit végétalisés au point de ne voir que des amas de verdure. Cela rappelait à tous que rien n'était éternel.
Le regard d'aigle passait d'un reste d'immeuble à l'autre. Il en devinait les contours, suivait les poutrelles émergentes, sondait les espaces engloutis par les ombres à la recherche du moindre mouvement. Parfois, il s'attardait un peu plus sur certaines formes sondant l'invisible, questionnant le silence. Les pupilles se remirent à virevolter, évitant de se fixer trop longtemps sur un seul endroit. Le calme semblait omniprésent. Un silence parfois brisé par quelques chants d'oiseaux. Un bon signe. Les oiseaux ne chantaient jamais quand un danger se faisait sentir.
L'herbe ondoyait doucement sous la brise comme les fleurs, les feuilles, les branches et toute la végétation lui offrant la moindre prise. Les teintes vives et colorées avaient laissé la place à des nuances de gris qui, bientôt, vireraient au noir. On ne distinguerait quasiment plus rien dans quelques heures.
Les yeux bruns reprirent leur envol, dépassant les géants à demi ensevelis pour scruter un horizon plus lointain et plus sombre encore où seules les formes se dessinaient dans le soir couchant. Un œil normal aurait eu bien du mal à distinguer quoi que ce soit dans ces ombres mais l'œil exercé savait déceler la moindre variation qui semblait être en contradiction avec les mouvements imposés par la nature. Un véritable talent qui résultait de milliers d'heures d'entraînement.
« C'est calme ce soir. »
La voix ne sembla pas perturber le regard qui continuait ses mouvements de va-et-vient sur toute la zone qu'il pouvait embrasser. Malgré sa rapidité, tout était enregistré et analysé. La branche qui tressaillait. Le moineau qui venait de s'y poser. La fleur blanche du liseron qui semblait ondoyer plus lourdement que les autres. Un couloir d'herbe qui s'agitait sous la course d'un lapin qui s'était risqué hors de son terrier. Tout était passé au crible. Le moindre oubli pouvait vite se révéler fatal. Le couloir d'herbe continua de se déplacer. D'autres couloirs d'herbes ne tardèrent pas à se révéler. Le rythme indiquait qu'il s'agissait de la même espèce animale. Plusieurs lapins se retrouvaient au crépuscule. Il y avait fort à parier qu'un prédateur était aussi dans les parages et observait à son tour avec grand intérêt ce qui lui permettrait d'assurer sa survie. Heureusement pour eux, les lapins avaient la force du nombre. Pour un qui se faisait dévorer, deux ou trois autres survivaient sans problème.
Les lapins survivent à tout, songea la jeune femme au regard d'aigle.
C'était d'ailleurs une chance que ces animaux soient si prolifiques et résistants. Ils constituaient ainsi une excellente source de nourriture. D'ailleurs, ils étaient directement élevés dans le camp. Les clapiers étaient nombreux et à moins d'une maladie ou d'une vague de froid majeure, l'élevage permettait d'avoir régulièrement de la viande. Pas tous les jours mais au moins une fois par semaine.
De toute façon, il était très compliqué d'aller chasser. Rares étaient ceux qui s'y risquaient. Il fallait être jeune et surtout complètement inconscient pour tenter l'expérience. Le plus souvent, c'était le fruit d'un pari stupide dont le but était d'épater la galerie ou une personne. Plus rarement, c'était lié à un besoin primaire en cas de disette ou de famine. Enfin, cela pouvait aussi servir d'entraînement mais cela restait très rare car ce n'était pas autorisé. Pas officiellement en tout cas. Évelyne avait connu ce dernier cas de figure. Elle avait dépassé les limites de l'enceinte pour s'entraîner à la chasse, à la surveillance et aiguiser ses sens. Elle en avait d'ailleurs gardé quelques cicatrices. Elle n'avait cependant jamais pris le risque d'aller trop loin. Téméraire, oui. Suicidaire, non.
« On va pouvoir y aller. La relève arrive. »
Des pas se rapprochaient d'eux. Bien que presque inaudibles, Evy les avait perçus depuis un petit moment. C'était l'annonce de la fin de la journée pour elle et son comparse. Rester immobile, à guetter toute la journée, était extrêmement fatiguant. Les sens étaient mis à rude épreuve. Même si elle y était habituée, le moment de la relève lui apportait toujours un profond soulagement. Ses muscles crispés pouvaient se relâcher et son attention diminuer. Pour autant, la jeune femme ne laissait pas sa fatigue prendre le dessus. Il ne fallait pas. Surtout pas. C'était le moment de la relève qui présentait le plus de risque. C'était là que les attaques pouvaient survenir. Là qu'ils étaient les plus vulnérables quand les sens s'émoussaient et que l'attention baissait. La brune ne lâchait donc rien.
Toujours couchée au sol, dans la même position qu'elle avait adoptée à son arrivée douze heures plus tôt. Elle restait aux aguets, ne se laissant pas distraire malgré son désir ardent de se relever et d'abandonner pour quelques heures le sol dur et humide. Un dernier coup d'œil dans sa lunette de tir avant qu'elle ne s'en détache. Son remplaçant se trouvait désormais près d'elle. Evy lui donna un petit moment afin qu'il puisse s'installer et prendre ses marques. C'est généralement à ce moment que la fatigue se faisait le plus sentir pour elle. Son corps lui rappelait douloureusement que sa position était restée identique durant de trop nombreuses heures. Ses muscles crispés se révélaient douloureux. De nombreuses fourmis semblaient envahir ses membres comme si une reine invisible avait fini par donner le signe de l'assaut.
Elle chassa de son esprit que sa délivrance était proche. Elle s'obligea à fixer son regard sur le lointain encore un moment, dépassant la frange des immeubles détruits pour aller vers l'horizon. Son regard englobait la zone, observant, scrutant pour déceler le moindre mouvement. Rien. Pas le moindre changement.
« Ok, je suis en place. »
La brune se retint de lâcher un soupir. Elle n'en pensait pourtant pas moins. Un ultime coup d'œil puis elle ferma les yeux quelques secondes pour reprendre possession de son corps et se relâcher. La prise sur son arme s'amoindrit. Elle prit un instant pour reprendre conscience de tout son environnement. La terre était dure et froide sous elle. Des touffes d'herbes se faisaient sentir ici et là, petites bosses sous son corps tout comme les quelques petits cailloux qu'elle n'avait pas vu le matin en s'installant. Nul doute qu'ils lui laisseraient quelques marques pour se venger de sa présence.
La jeune femme commença à reculer en rampant afin de redescendre le léger talus qui lui servait de poste de surveillance. Après quelques mètres, elle se remit sur ses pieds et continua de reculer avec prudence, gardant son regard et son arme sur le lointain. L'ennemi était certainement à l'affût. Nombreux étaient les soldats qui avaient perdu la vie en tournant trop tôt le dos. Les machines attendaient souvent ce moment spécifique pour attaquer. En même temps, elles n'avaient pas tort. Si la jeune femme avait été dans leur camp, cela aurait été une bonne tactique militaire. Lors des briefings, c'était notamment cet aspect qui était pointé du doigt et sur lequel les commandants avaient tendance à insister. Malheureusement, cela ne suffisait pas toujours. Il fallait dire que le nombre de soldats était restreints aussi les tours de garde étaient fréquents. La fatigue qui en découlait était notable et, par extension, la hâte de pouvoir regagner au plus vite ses pénates pour prendre un repos salutaire l'était tout autant.
Evy continua de reculer jusqu'à atteindre l'enceinte, la limite extérieure du camp. Un ensemble hétéroclite de barbelés, de bois et de métal entremêlés qui servait de rempart. Des miradors étaient postés de loin en loin pour couvrir un espace plus vaste et avoir un meilleur angle de tir.
Dans sa remontée vers l'enceinte, plusieurs autres soldats se joignirent à elle. La relève s'effectuait à plusieurs points de garde. Les brèches étaient peu nombreuses afin de garantir la sécurité du camp. Par petits groupes de deux ou trois, ils repartaient vers la cité, le dos légèrement voûté, les épaules et la tête basse. La fatigue se lisait sur les silhouettes. Chacun d'entre eux passa la limite de sécurité et après quelques mètres, ils purent enfin tourner le dos et prendre le chemin de la maison.
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Extinction [terminé - en réécriture]
Science FictionEn 2163, la quasi totalité de l'humanité a disparu suite à l'affrontement contre les machines. Evelyne, avec quelques survivants, cherche à leur résister au sein la dernière cité existante. Aidée par Josh, son ami, et sous les ordres de son père, le...