Chapitre 18 : Sentiments - Partie 2

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Le ton un brin agressif de l'androïde surprit Evy. Elle ne s'attendait pas à une réaction aussi virulente de la part de Gabriel. Cela lui avait pourtant sembler être une bonne idée. Si les humains acceptaient une part de machine, cela pourrait garantir leur avenir à tous.

Mère ne voulait pas détruire les humains qui étaient ces créateurs mais elle ne voulait pas non plus les laisser détruire le monde sur lequel elle et les siens vivaient. Evy ne pourrait jamais garantir à l'IA que les erreurs commises par les siens ne se reproduiraient plus. L'Avocat le savait parfaitement. Elle pouvait trouver toutes les explications du monde, ni elle, ni lui, ne pouvait prédire l'avenir. Or c'était une aubaine pour son adversaire. Il jouait constamment sur cette corde. La seule solution pour le contrer était donc de la couper.

Il fallait proposer autre chose, quelque chose de déstabilisant. Et cela avait fonctionné avec Gabriel. Il n'avait pas vu le coup venir. Dès lors, il y avait fort à parier que l'Avocat n'imaginerait jamais une telle proposition. Rien ne disait que cela pouvait fonctionner mais il fallait bien tenter quelque chose.

« Ce n'est pas aberrant Gabriel, c'est une question de survie. Je ne peux pas battre l'avocat. C'est impossible. Pas sur son terrain. J'ai des lacunes monumentales en termes de culture, d'histoire et de connaissance mais même si j'avais tout cela, je ne pourrai pas avoir raison de lui. Notre adversaire se base sur notre impossibilité à prévoir l'avenir. Et, si je me mets à la place de Mère, je ne voudrais pas jouer la survie de ma planète et des miens en misant sur un « peut-être ». Je dois absolument sortir de ce schéma ou je n'aurai aucune chance de sauver les miens. »

Son regard désespéré observait Gabriel, essayant de le convaincre du bien fondé de son choix. Il avait déjà dû se rendre compte que la partie était très mal engagée. La militaire se doutait que l'idée d'une symbiose ne devait pas lui plaire mais elle espérait qu'il puisse comprendre.

L'androïde fuyait le regard qui essayait d'attirer sa sympathie. Il regardait à droite et à gauche du chemin de terre couvert de feuilles mortes qui s'étendait devant eux et menait vers la forêt. S'ils baignaient encore dans la lumière déclinante du jour, les arbres, eux, étaient déjà plongés dans l'obscurité. L'atmosphère lourde de la conversation semblait alors se transposer dans le paysage.

« Vous... vous voulez quoi ? Une fusion ? Je suis sceptique... Je ne pense pas que les vôtres soient près pour ça. Vous savez déjà que ce sera difficile pour eux d'accepter la situation alors leur demander de s'associer à une machine. Je ne pense pas que cela puisse fonctionner Evelyne. »

Le regard outre-mer finit par accepter de se souder à celui, sombre, de la demoiselle. Il assumait ses propos et ne semblait pas convaincu par l'idée qu'elle avait eu. Evelyne était bien sûr consciente des difficultés qu'elle allait devoir affronter avec les siens. Elle n'aurait cependant pas crû que Gabriel se montrerait aussi réfractaire.

« Evy.

– Pardon ? Gabriel fronça les sourcils.

– Depuis que je suis là, vous m'avez quasiment toujours appelée Evelyne mais je préfère quand vous utilisez mon diminutif, Evy. »

L'androïde sembla surpris mais finit par sourire sous l'invitation qu'elle lui octroyait. Il hocha la tête.

« Evy, très bien. Je vais donc user de votre diminutif mais ce n'est pas pour autant que je suis d'accord avec l'idée absurde que vous avez eu.

– Absurde ? Elle n'est pas absurde. Elle est...

– Incongrue ? Irrationnelle ? Insensée ? Quel terme correspond le mieux selon vous ? Les bras croisés sur la poitrine, Gabriel avait retrouvé son sérieux.

– Innovante ! Mère considère, à juste titre, que l'évolution est absolument nécessaire à la survie. Si l'être humain veut survivre, il doit aussi évoluer. Je propose juste que cette évolution passe par une symbiose. C'est atypique, je vous l'accorde, mais réfléchissez un peu, ce serait associé une sorte de garde-fou à l'esprit humain !

– Un garde-fou ? Gabriel reprit sa marche, Max les avait désormais rejoint et marchait tranquillement entre les deux bipèdes.

– Lorsque j'étais petite, ma mère me racontait parfois des histoires, des contes. Dans l'un d'entre eux, il était question d'un petit garçon de bois qui avait son nez qui s'allongeait quand il mentait...

– Pinocchio ! Un claquement de doigts avait appuyé le titre trouvé par Gabriel.

– Oui, c'est ça ! Et... une fée lui avait promis que s'il était bien sage, il deviendrait un vrai petit garçon. Pour l'aider à faire les bons choix, elle lui avait donné un petit compagnon, un insecte qui devait lui dire quoi faire...

– Jiminy Cricket, le grillon qui devait servir de conscience à Pinocchio. C'est quoi votre idée ? Vous voulez que l'esprit des machines face office de Jiminy Cricket ?

– Oui ! »

Evy avait sauté devant l'androïde, le regard joyeux, ravi qu'il comprenne son idée. Ce n'était certainement pas ce qu'il y avait de plus fin et de plus recherché. Mais parfois les idées les plus simples étaient les meilleures.

Gabriel semblait toujours décontenancé par l'attitude joyeuse de la jeune femme. C'était la première fois qu'elle se montrait aussi enthousiaste pour quelque chose depuis son départ du camp. Evy se rendait compte qu'elle était probablement un peu trop euphorique devant le visage effaré de son compagnon.

« Oh allez Gabriel ! Essayez de vous mettre à ma place ! - elle reprit alors sa place près de lui, caressant au passage le chien - Je ne vois pas comment contrecarrer l'Avocat. Si vous avez des idées, n'hésitez pas à me les dire mais vous devez bien vous rendre compte qu'on va droit dans le mur bon sang ! »

L'euphorie était brutalement retombée laissant la place à la déprime. Evy s'était-elle trop emballée pour son idée ? La symbiose était-elle si impensable que cela ? Elle n'y aurait jamais songé quelques jours plus tôt. Cette idée même l'aurait révulsée mais là, les options étaient limitées et s'il fallait en passer par là pour survivre, elle était prête à sauter le pas.

Le soupir de Gabriel indiqua à la jeune femme qu'elle avait tapé dans le mille. Lui non plus ne voyait pas d'issue favorable pour le moment. Pourtant, l'androïde possédait une foule de connaissances. Malgré cela, il ne trouvait pas non plus le moyen de contrer leur adversaire.

Leurs pas les menèrent à la lisière de la forêt, les plongeant dans l'ombre des arbres imposants. Evy s'approcha de l'un d'eux, caressant délicatement son écorce. Elle n'en avait jamais vu d'aussi imposant. Il ne possédait plus de feuilles, malheureusement, mais cela n'enlevait rien à sa majesté. Au vu de sa taille, il avait probablement survécu à la guerre. Evy frissonna en s'imaginant qu'il verrait peut-être la fin de l'humanité. Sera-t-elle la dernière de son espèce à toucher son tronc rugueux ?

La main masculine vint se poser sur la sienne, la recouvrant presque entièrement. Contre sa paume, elle sentait la froideur de l'écorce, ces irrégularités, ces rainures. Le dessus bénéficiait de la douceur, de la tiédeur mais aussi de la force de Gabriel. Bien qu'il ne soit pas d'accord avec sa trouvaille, il restait près d'elle encore et toujours.

« Vous avez une idée sur comment faire pour contrer l'Avocat ? »

Un nouveau soupir lui répondit. Visiblement non. Elle aurait bien aimé une réponse positive. Une sorte de miracle intellectuel mais il ne semblait pas vouloir se réaliser.

« Vous avez raison. L'Avocat joue sur notre impossibilité à prédire et prévoir le futur. Sans garantie, comme vous, je doute que Mère laisse sa chance à l'humanité. Or des garanties, on ne peut pas lui en fournir - un énième soupir vint ponctuer ses propos - Nous sommes dans une impasse. »

La lassitude ponctuait ses mots. Lui non plus ne voyait pas d'issue favorable à toute cette histoire.

Extinction [terminé - en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant