Chapitre 3 : Confidences - Partie 3

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Evy avait du mal à comprendre son comportement. Elle se décala pour lui permettre de prendre une des couvertures sur le lit. Ses yeux bruns ne le quittaient pas alors qu'il s'allongeait au sol. Pourquoi se mettait-il dans cet état ?

« Je suis désolée si je t'ai blessé. »

Il haussa les épaules. La brune l'imita en s'allongeant à son tour et attrapa les deux dernières couvertures avant de les abandonner à son compagnon. Il aurait bien plus froid qu'elle en dormant par terre.

« Bonne nuit. »

L'homme grommela mais ne répondit pas. Evy sentait bien que quelque chose n'allait pas sans arriver à mettre le doigt sur la source du problème. Enfin, ce n'était pas totalement exact. Une part d'elle se doutait bien de ce qui n'allait pas mais elle ne voulait pas l'affronter. La confrontation avec son père l'avait déjà vidée de son énergie. Elle ne tenait pas à recommencer.

Allongée sur le dos, les bras derrière la tête, elle contemplait les murs de la petite pièce encore éclairée. Comme chez elle, ils ne portaient pas grand chose hormis des dessins. Josh avait gardé bon nombre de ceux qu'ils avaient fait quand ils étaient plus jeunes. Ceux de la jeune femme se résumaient à des bonhommes patates ou, au contraire, des bonhommes bâtons. A l'inverse, ceux de Josh étaient fins, délicats et très réalistes. Depuis son plus jeune âge, il avait toujours aimé dessiner et il était diablement doué. Elle se rappelait qu'après la mort de ses parents, il avait passé beaucoup de temps à dessiner. Il récupérait tout le papier qu'il pouvait trouver et régulièrement, faute de support nouveau, il effaçait d'anciennes œuvres et recommençait. A la mort de sa mère, Josh avait réalisé un portrait de sa mère qu'il avait fait de mémoire. Elle l'avait précieusement conservé dans sa chambre. Il trônait au-dessus de son lit depuis bientôt 17 ans.

« Mon père m'a demandé si nous... allions nous marier... avoir des enfants... construire une famille. »

Même si Evy ne voulait pas d'une nouvelle confrontation, elle savait qu'elle n'arriverait pas à fermer l'œil si elle ne tirait pas cette histoire au clair.

« Et ?

– Je ne sais pas. Je ne vois pas pourquoi il s'est imaginé ça.

– Sérieusement ?! On passe tout notre temps ensemble, faut pas chercher plus loin. Tu crois qu'il est le seul à penser ça ? Si c'est le cas, désolé de te contrarier mais beaucoup de gens pensent la même chose que lui. »

Elle aurait dû s'en douter, bien sûr. Les gens parlaient et peu importait que l'on soit au bord de l'extinction de la race humaine, les ragots allaient toujours bon train.

« Tu comptes faire quoi, par rapport à ton père ?

- Je n'ai pas vraiment le choix. Tu l'as dit toi-même, on ne peut pas se permettre de voir la loi S revenir à son application la plus stricte. Je vais devoir abandonner la garde et me limiter à gérer l'intérieur du camp et... faire des gosses. »

Elle en aurait pleuré tellement cela allait à l'encontre de ses désirs. Mais elle ne pouvait pas faire autrement. Son père le savait. Josh le savait et elle le savait aussi.

« Et tu comptes faire ça avec qui ?

– Toi, si ça te tente. On pourra se marier et avoir une bonne douzaine de gosses. »

Evy parlait d'une voix où l'ironie et la tristesse se mélangeaient curieusement.

« Et ça te semble si horrible ? »

La jeune femme l'entendit se redresser. Probablement qu'il la regardait mais elle se contentait de fixer les dessins du mur face à elle. Elle n'était pas certaine d'avoir le courage de l'affronter.

« Pas toi ?

– Non. »

La réponse était venue sans la moindre hésitation. Une réponse franche et honnête. Elle ferma les yeux avant de finir par poser son regard sur les traits masculins.

« Pourquoi tu t'es jamais marié ?

– A ton avis sombre idiote ! »

Elle aurait pu se braquer et lui en coller une mais il avait raison, elle n'était qu'une sombre idiote. La réponse était plus qu'évidente.

« Pourquoi tu ne me l'as jamais dit ?

– Parce que tu ne me l'as jamais demandé. »

Josh lui offrit un sourire mi-amusé, mi gêné. Les confessions, ce n'était pas son point fort. Pourtant, il ne cherchait pas à esquiver. Il la regardait droit dans les yeux avec bienveillance mais aussi une pointe d'autre chose qu'Evy refusait encore de nommer.

Il avait toujours été là pour elle d'aussi loin qu'elle se souvienne. Ils avaient grandi ensemble, s'étaient entraînés ensemble, avaient combattu ensemble. Elle avait toujours pu compter sur lui comme lui pouvait toujours compter sur elle. Toujours ensemble comme les doigts d'une main.

« Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Je pensais que tu finirais par comprendre, toute seule, comme une grande. Visiblement, t'as besoin d'un coup de pouce. On a grandi ensemble et avec le temps, j'ai fini par avoir des sentiments pour toi. J'espérais juste que ça devienne réciproque mais... visiblement pas. Quoique... tu passes tellement de temps à vouloir aller sur le terrain, combattre les machines et aider tout le monde que je me demande à quel moment tu pourrais te demander si tu as envie de faire ta vie avec qui que ce soit. Sans compter cette obstination à ne pas vouloir d'enfants. Tu t'es tellement focalisée là-dessus que tu ne t'es jamais demandée si tu pouvais aimer quelqu'un.

– Avec le monde dans lequel on vit tu crois...

– Mais justement ! C'est parce qu'on vit dans un monde pourri et horrible qu'on doit aussi penser à soi ! Aimer, ça fait partie de la vie. Combattre, c'est bien mais on ne construit pas toute son existence là-dessus. On ne le doit pas. Sinon la vie perd tout son sens. Moi, j'ai envie d'avoir des enfants. Notre monde n'est pas le meilleur qui soit mais si on fait une croix sur les gosses, à quoi sert notre combat ? Je sais que tu ne veux pas d'enfants et je l'aurai accepté. Pour toi.

– Je suis censée dire quoi ? Remettre en cause tout ce à quoi je crois pour...

– Mais non ! Je sais bien ce que tu ne veux pas et pourquoi tu ne le veux pas. Je te connais et je t'ai assez souvent entendue parler de tout ça mais maintenant les choses sont différentes parce que ton père t'a mise au pied du mur. Tu as fait ton choix parce que tu sais que l'autre option est encore pire. Par contre, personne ne te demande d'avoir un gosse d'ici à demain. Dis à ton père que c'est ok et prends le temps d'accuser le coup. ça fait beaucoup de choses à digérer pour toi. Et maintenant, extinction des feux. Tu as besoin de dormir. Demain la journée sera longue. »

Evy n'eut pas le temps de répliquer qu'il avait déjà éteint la lumière. La discussion était close. Ce n'était pas plus mal car Evy accusait le coup comme il l'avait dit. Emmitouflée dans sa couverture, elle se demandait ce qu'elle avait pu rater dans sa relation avec Josh. Pourquoi ne s'était-elle jamais rendu compte de ce qu'il ressentait pour elle ? Tout le monde, selon les dires de Josh, semblait trouver cela évident. Pourtant, elle n'avait rien vu venir. Enfin, ce n'était pas tout à fait vrai. Même si son ami venait de lui mettre les points sur les "i", une part d'elle savait, avait toujours su ce qu'il ressentait vraiment pour elle. Son compagnon avait raison. Elle s'était toujours focalisée sur son rôle de soldat, de fille de général et avait fini par oublier tout le reste. Sans compter sa volonté farouche de ne pas avoir d'enfant. Tout cela semblait l'avoir rendue aveugle à celui qui était juste à côté d'elle depuis des années. Sombre idiote ! Oui, il avait parfaitement raison.

Elle se tourna sur le côté, essayant de chasser tout ça de sa tête pendant quelques heures. Elle devait absolument dormir ou sa journée serait un véritable enfer. Elle verrait son père d'ici quelques heures et lui donnerait la réponse qu'il voulait. Quant à Josh, elle le verrait le soir et ils prendraient le temps de discuter de tout ça. Apaisée par cette prise de décisions et malgré ses doutes, la fatigue eut raison d'elle et Evy sombra dans un sommeil sans rêves.

Extinction [terminé - en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant