Toute la peine du ciel semblait vouloir se déverser sur le monde. Un temps qui rendait la surveillance difficile. Allongée sur le sol boueux, Evy avait rejoint son poste avant même que le jour ne soit levé. Mais la pluie l'avait largement devancée rendant l'endroit glissant et instable. Le promontoire de terre qu'elle occupait avait toujours mal supporté les apports massifs d'eau. A plusieurs reprises, il avait fallu le renforcer avec des pierres et des morceaux de bois. Pour autant, la butte était l'un des meilleurs endroits pour observer le camp adverse. Cela aurait désavantagé les humains que de l'abandonner. Dans cette lutte qui ne semblait pas connaître de fin, chaque petit élément pouvait représenter une avancée notable ou une douloureuse défaite.
L'humeur de la brune semblait identique au temps, en peine. Quelques heures plus tôt, elle avait rejoint son père pour lui donner sa réponse. Une réponse que tous les deux connaissaient déjà. Le général ne montra pas la moindre once d'émotion. Ni joie, ni peine, ni regret. Il se contenta de hocher la tête lorsqu'elle lui dit qu'elle acceptait d'abandonner le service actif. Malgré les années et la dispute de la veille, elle avait espéré qu'il réagisse d'une manière ou d'une autre mais comme d'habitude, il ne dit rien, ne fit rien. Il restait égal à lui-même, sans émotions. Alors pourquoi espérait-elle encore ? Peut-être pour la même raison qu'elle continuait encore à se battre avec cet espoir presque chimérique de voir la fin du conflit et la victoire. Ne disait-on pas qu'après la pluie venait le beau temps ? Malgré une vie de privation et de douleur, l'espoir perdurait encore et toujours. Pour tout et pour tous. Si l'espoir de vaincre l'ennemi ne s'était pas éteint depuis plus d'un siècle, Evy pouvait bien garder l'espoir de voir son père changer.
Laissant ses pensées filer, elle se reconcentra sur sa surveillance. La fatigue était bien présente. Son esprit entraîné à être toujours sur ses gardes avait tendance, aujourd'hui, à la ramener vers ses différents problèmes. Le chantage de son père, la découverte des sentiments de Josh pour elle, la question de ses propres sentiments pour lui... Il dormait encore quand elle était partie. Elle avait rapidement enfilé ses affaires sèches avant de quitter la chambre. La brune n'avait guère envie de se lancer dans une nouvelle conversation sachant qu'en plus son père attendait cette fichue réponse. Un problème à la fois. Josh, ce serait pour ce soir. Cependant, son esprit ne pouvait s'empêcher de divaguer. Il l'aimait mais elle, que ressentait-elle pour lui ? De l'amour ? Une très forte amitié ? Un attachement fraternel ? C'était un vrai paquet de nœud sentimental qu'il allait lui falloir démêler et ce n'était clairement pas le moment.
Evy ferma brièvement les yeux pour tenter de ramener ses pensées vers le moment présent. Cinq jours de surveillance, c'était décidément trop. Elle devrait en rendre compte à son retour au camp. Bien qu'ils aient subi des pertes importantes, il serait impossible de maintenir ce rythme pour les soldats. Elle faisait partie de l'élite et même pour elle ça faisait trop alors elle n'imaginait pas pour les autres, moins résistants, moins habitués. La logique de son père était pertinente, ne pas affaiblir les rangs pour ne pas laisser la moindre ouverture à l'ennemi mais à quoi cela pouvait bien servir si les soldats ne parvenaient plus à garder les yeux ouverts à cause de l'épuisement. C'était tout aussi suicidaire, voire plus, que de laisser des places vides. Il allait falloir repenser l'organisation et très rapidement.
Un bref regard sur sa gauche lui apprit qu'elle n'était pas la seule à avoir atteint ses limites. Nathan, un sniper comme elle, avait les yeux qui se fermaient. Elle le voyait lutter, peiner à rester concentré sur son objectif. Elle était à peine en meilleur état que lui et ce n'était que le milieu de matinée. La journée allait être monstrueusement longue.
Quand elle le vit piquer du nez une énième fois, elle déplaça légèrement sa main pour attraper un caillou près d'elle. Avec un mouvement rapide, elle le lui balança. L'homme sursauta et tourna la tête vers elle. Evy exécuta un rapide signe de la main auquel l'homme répondit par un pouce levé. Il était ok. Pour combien de temps ? C'était toute la question. Il reprit sa posture et sembla avoir un regain d'énergie. Savoir que sa supérieure l'avait repéré semblait lui redonner quelques forces. En soit, la jeune femme n'était en rien sa supérieure. Ils avaient le même rang et le même rôle. Il était simplement cinq ans plus jeune qu'elle. Evy l'avait formé et entraîné. Il la considérait toujours comme son mentor et essayait de se montrer digne d'elle. Un comportement un peu idiot selon la brune. Elle lui avait déjà dit plusieurs fois qu'ils étaient pareils mais il persistait et elle avait fini par abandonner. Pour une fois, cette façon de la percevoir allait leur être profitable.
Reprenant son observation, elle vit que rien ne semblait bouger. Le calme après la tempête et avant la prochaine. Elle n'était pas de garde quand l'attaque s'était déclenchée quelques jours plus tôt. Une tentative d'incursion de l'ennemi. Les machines avaient envoyé plusieurs hommes dans le No Man's Land. Ce n'était pas vraiment des hommes bien sûr, il s'agissait de squelettes de métal surplombé d'une tête ovale possédant une sorte d'œil. Pas de bouche, pas de nez, pas d'oreille, rien d'autre qui semblait vaguement humain que cet œil cyclopéen. Cela les rendait profondément dérangeants. Les armes automatiques qu'ils tenaient dans chaque main en faisaient des combattants redoutables auxquels il fallait ajouter une aptitude impressionnante à se mouvoir aussi bien debout qu'au sol. Si la rapidité était de mise quand ils chargeaient sur leurs jambes, le silence et la fluidité étaient leurs armes secrètes quand ils cherchaient à passer inaperçus au sol. Debout, ils avaient un comportement proche de l'humain, au sol, ils se déplaçaient comme des serpents. Cette étrange capacité était due à leur composition. Bien que les parties en métal soient rigides, aucune grande pièce ne composait leur corps mais de multiples petites sections rattachées les unes aux autres par de sortes de tendons en caoutchouc. Ils pouvaient ainsi se déformer pour ramper mais aussi se rigidifier pour marcher et courir. La technologie dont ils étaient faits était impressionnante et bien trop poussée pour les habitants du camp.
Les connaissances des humains restaient assez minimes. Quelques-uns savaient faire fonctionner les radios qui survivaient presque par miracle. Le dernier ordinateur avait succombé bien avant la naissance d'Evy. De la technologie des temps anciens, il ne restait plus grand chose. Le strict nécessaire pour faire fonctionner les générateurs et les pièces récupérées ça et là y compris sur les cadavres métalliques. Les ampoules utilisées pour éclairer le camp la nuit n'étaient rien d'autres que l'œil des soldats cyborgs. Un recyclage comme un autre. Récupérer les corps ennemis avait donc un intérêt autre que celui de la simple observation.
Avant que les corps soient démantelés, les soldats prenaient toujours un temps pour les inspecter. Si le but premier était d'éviter les mauvaises surprises et de bien s'assurer que l'adversaire n'était plus en état, ils recherchaient aussi et surtout des points faibles. Connais ton ennemi et apprends ses faiblesses pour le vaincre. Malheureusement, hormis la tête qui contenait les puces vitales, il n'y avait pas la moindre faille. Exploser un membre ou deux était toujours un moyen de ralentir l'adversaire mais pour s'en débarrasser, le tir dans la tête était la seule option. C'était pour cette raison que les snipers étaient aussi importants. Les munitions étant limitées, il fallait tirer juste, vite et bien.
Quand le soleil était présent, il pouvait être un atout non négligeable pour les humains. Ses rayons pouvaient se refléter sur l'ossature métallique et indiquer la position de l'ennemi. La nuit, c'était la lune qui pouvait assurer une fonction similaire. Les projecteurs manquaient de puissance et ne portaient pas au-delà de quelques dizaines de mètres, trop tard pour réagir. Le mauvais temps était toujours une aubaine pour les machines et quand il y avait une attaque, elle se déroulait toujours lors d'une nuit sans lune ou une journée dotée d'une météo détestable, comme ce jour là. L'observation était donc d'autant plus cruciale.
Le regard expérimenté de la jeune femme restait concentré sur la prairie immense qui constituait le No Man's Land. Le vent battait les hautes herbes, ne permettant pas de distinguer de possibles avancées ennemies. Seul un œil exercé pouvait remarquer les subtils changements qui ne devaient rien au vent. Les années d'entraînement jouaient pour Evy mais pas la fatigue qu'elle avait accumulée ces derniers jours. Il fallait pourtant tenir coûte que coûte.
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Extinction [terminé - en réécriture]
Science FictionEn 2163, la quasi totalité de l'humanité a disparu suite à l'affrontement contre les machines. Evelyne, avec quelques survivants, cherche à leur résister au sein la dernière cité existante. Aidée par Josh, son ami, et sous les ordres de son père, le...