Chapitre 7 : Frustration - Partie 1

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L'heure était avancée. Evy attendait, seule. Son ventre se rappela à elle la faisant maugréer. Il avait faim et donc, par extension, elle aussi. Elle se refusait pourtant à quitter le lit sur lequel elle avait pris place. Elle laissa filer un soupir en jetant un coup d'œil désintéressé sur le livre ouvert sur ses genoux. Elle l'avait pris dans l'une des piles qui ornaient le mur opposé où elle se tenait. Un des livres de Josh bien sûr. Un de ceux qu'il avait réussi à trouver et préserver. Plus jeune, comme lui, elle avait adoré se plonger dans les pages jaunies issues d'un autre temps. Curieuse, elle voulait tout savoir du monde avant sa destruction mais avec les années et le travail, elle avait abandonné petit à petit ces vieilles reliques. Cela faisait des mois qu'elle n'avait pas ouvert le moindre ouvrage. Une partie d'elle avait abandonné l'idée d'un jour retrouver cette période faste, préférant aller de l'avant plutôt que de se complaire dans ce passé désormais révolu.

Les lettres imprimées dansaient devant ses yeux. La jeune femme peinait à se concentrer. Bien qu'elle ait pu profiter d'un peu plus de sommeil, elle était encore fatiguée. Sa blessure commençait à cicatriser et les infusions d'écorce de saule associées aux désinfections régulières à base d'alcool lui avaient évité l'infection. Elle s'en sortait bien. Du moins physiquement. Pour le reste, elle était loin de se sentir bien. Sa colère était omniprésente depuis le petit discours que son père l'avait contraint à faire. Elle s'était laissée piéger. Résultat, elle quittait le service actif et, comme le général l'avait espéré, plusieurs femmes en avaient fait autant. Une dizaine de soldats avaient quitté les rangs pour suivre l'exemple d'Evy rendant la décision d'enrôler les plus jeunes encore plus indispensable. La brune aurait tellement voulu que cela se passe autrement. Devant tout le monde, elle restait stoïque mais seule, sa colère ressurgissait.

Ses yeux quittèrent les pages imprimées pour se poser sur sa main droite aux articulations abîmées. Les murs et sacs de frappe avaient été les victimes de sa rage et de sa frustration. Et encore, elle avait été limitée par son bras gauche. Ce dernier restait bandé. Un morceau de tissu le maintenait en écharpe autour de son cou. Dans ces conditions, difficile d'utiliser toute sa force pour boxer. Mais c'était toujours mieux que rien.

Depuis quatre jours, elle devait s'occuper de la réorganisation du camp, nommer ceux qui devraient rejoindre la frontière extérieure, refaire les plannings des gardes, revoir les affectations de chacun. Volontairement, elle s'excluait de ses réaffectations. Elle ne voulait pas acter son retrait en s'attribuant un poste définitif au sein du camp. Oh bien sûr, elle le ferait. Elle n'avait pas le choix mais elle ne le ferait qu'à la fin de la semaine, au dernier moment. C'était stupide et même puérile mais abandonner tout ce qui avait fait sa vie jusque là, quasiment du jour au lendemain, était très difficile à avaler pour la jeune femme. Heureusement pour elle, le travail ne manquait pas. Le temps de réfléchir à cet avenir indésirable était limité. Il n'y avait que le soir, la nuit, quand le désœuvrement la touchait qu'Evy plongeait dans la colère et la rage. Ces dernières finirent par avoir raison du malheureux ouvrage qui vola à travers la pièce avant de percuter brutalement le mur de métal et de s'effondrer, vaincu, sur le sol après avoir fait dégringoler une pile de ses homologues.

Son ventre protesta de nouveau. Elle n'avait rien avalé depuis le matin aussi ses protestations étaient d'autant plus justifiées. Evy n'avait aucune envie de rejoindre le réfectoire. Devoir jouer un rôle devant les autres lui pesait et elle était trop fatiguée pour arriver à donner le change de façon crédible. Elle finit pourtant par se glisser hors du lit pour aller jeter un coup d'œil sur ce que Josh pouvait avoir en réserve.

Depuis son annonce, elle avait déserté la maison familiale pour finir chez son ami. Voir son père en dehors du travail était au-dessus de ses forces. A part quelques échanges réalisés dans le cadre de la réorganisation du camp, elle n'avait pas essayé de discuter avec lui. De toute façon, ça ne servirait à rien. Il ne changerait pas d'avis et elle perdrait de l'énergie dans une dispute stérile. Elle avait préféré fuir. Encore une fois, ce n'était pas ce qu'il y avait de plus mâture mais au vu de la situation, c'était ce qu'elle avait trouvé de mieux à faire.

La porte s'ouvrit alors qu'Evy explorait une vieille boîte en métal. Elle ne prit pas la peine de redresser la tête sachant pertinemment de qui il s'agissait. La porte ne tarda pas à se refermer, évitant que le froid de la nuit ne se répande dans la pièce.

« J'ai rapporté de quoi manger vu que, j'imagine, tu n'as pas envie d'aller prendre ta ration au réfectoire... »

La brune grommela pour toute réponse. Elle restait penchée sur la boîte de métal qui ne contenait rien de comestible à part deux beaux cafards. Elle plissa le nez. Elle avait faim mais pas à ce point là. Le goût était loin d'être agréable et si, en période de famine, ça servait toujours, quand on pouvait éviter de manger ce genre de truc, on évitait.

« Ok. T'as encore décidé de passer la soirée à faire la gueule ? Non parce qu'à force, ça devient fatiguant. »

Le ton un brin irrité de Josh lui fit refermer brutalement la boîte avec une envie furieuse de la lui balancer au visage. Non, ce n'était pas sympa mais sa colère était trop grande pour qu'elle parvienne à la contenir. Elle parvint cependant à éviter le pire et abandonna la boîte en question.

« Si t'es pas content, t'es pas obligé de rester. »

Le regard sombre de la jeune femme était assassin. Le soldat se contenta de déposer un panier sur la table et d'en sortir son contenu. Un délicieux fumet ne tarda pas à remplir la pièce. Du ragoût... avec de la viande. Le général voulait gâter ses hommes. Un moyen comme un autre de remonter le moral de la population.

« C'est encore chaud. Je suis passé chercher ça avant de rentrer. Tu devrais manger un morceau avant de tomber dans les pommes. Je sais que t'as rien mangé depuis ce matin. »

Avec calme, le soldat s'empara de fourchettes et couteaux et plaça la portion de la jeune femme de son côté avant de s'installer et de commencer à attaquer sa propre ration.

« Je suis assez grande pour m'occuper de moi toute seule ! »

Encore une fois, Josh ne dit rien, préférant manger plutôt que de lui répondre. Cela n'aurait d'ailleurs pas servi à grand-chose. Evy finit d'ailleurs par s'asseoir et commença à manger. Même si elle était en colère, elle avait faim et avait besoin de reprendre des forces.

Étrangement, le fait de contenter son estomac sembla apaiser un peu sa frustration. Elle savait bien que Josh n'était responsable de rien mais il était le seul avec qui elle pouvait se laisser aller. Le repas se déroula dans le plus grand silence. Seul le tintement des fourchettes animait un peu les choses.

« T'es rentré tard ce soir. »

Le ton était un brin plus calme. Evy essayait de faire un effort. Son ami releva alors la tête et lui adressa enfin un sourire.

– Je te manquais ?

– Non, je me demandais juste ce que tu pouvais faire.

– Tu pourrais au moins faire semblant.

– Pas envie. »

Ce n'était pas totalement vrai. Elle s'inquiétait pour lui bien sûr, mais elle savait que pour le moment, il ne risquait pas grand-chose au sein du camp. Josh afficha un air déçu.

Extinction [terminé - en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant