Chapitre 3 : Confidences - Partie 1

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Une silhouette sombre avançait rapidement dans les allées du camp. Evy cherchait à aller le plus loin possible de son père. Une course perdue d'avance. Elle le savait parfaitement mais pour le moment plus rien ne comptait que de courir, s'éloigner, fuir. Elle ne réfléchissait ni à la direction, ni au lieu. Elle fuyait.

Elle courait dans l'obscurité, ne rencontrant pas âme qui vive. La nuit tombée, à part les gardes, les gens se limitaient à aller manger puis rentraient chez eux. Quelques-uns se perdaient du côté du bar mais ce n'était pas la majorité. Le général ne voyait pas la consommation d'alcool comme une bonne chose mais la tolérait pour éviter de se retrouver avec une révolte sur les bras. Qu'on le veuille ou non, un bar, et surtout l'alcool qui y était dispensé, avait toujours une utilité que ce soit pour la socialisation ou plus simplement pour faire oublier le monde sombre dans lequel tous devaient survivre.

Le croissant de lune associé aux quelques lumières disséminées ici et là permettaient à la jeune femme de ne pas avancer dans le noir total. Elle voyait où elle courait à défaut de savoir vers où. Une course sans but mais qui serait loin d'être sans fin. L'air froid gonflait ses poumons à chaque respiration, provoquant picotements et douleurs. Mais ce n'était rien. Elle avait connu bien pire. Blessée plusieurs fois sur le terrain, elle s'en était toujours sortie. Pourtant, aucune blessure n'avait été aussi douloureuse que celle que son père venait de lui infliger.

A l'instar d'un océan en furie, les sentiments de la jeune femme s'affrontaient, s'entremêlaient, se déchaînaient comme autant de vagues furieuses et monstrueuses. Chacune cherchant à prendre la place de l'autre dans son esprit et son cœur. Amour, haine, colère, culpabilité, peine, impuissance... Tout semblait se confondre et finir par se précipiter dans un maelstrom monstrueux de sentiments.

Des larmes commencèrent à lui piquer les yeux mais Evy ne voulait pas y prêter attention. Ce n'était pas la peine ou la colère. Non ! Ce n'était que le froid mordant de la nuit qui attaquait ses pupilles. L'eau salée était une simple réponse physique à cette agression. Ce n'était rien d'autre. Cela ne pouvait pas être autre chose. Elle n'avait plus pleuré depuis la mort de sa mère. On ne versait des larmes que pour les morts. Jamais pour les vivants et encore moins pour soi.

L'égoïsme avait toujours été farouchement combattu au sein du camp. Dès l'enfance, on l'étouffait dans l'œuf. Evy n'avait pas fait exception mais chez elle, l'altruisme était rapidement devenu une seconde nature. Pourtant, devant les exigences de son père, cette fois la brune avait décidé de se rebeller et de jouer l'individualisme. Elle pensait que cela n'aurait pas un impact si négatif pour le camp si elle décidait de ne pas avoir d'enfant. Ce désir était important pour d'autres femmes. A l'âge d'Evy, beaucoup étaient déjà mère, plusieurs fois même. Loin de simplement servir les intérêts du camp, elles répondaient à un ancrage génétique qui poussait les espèces animales comme végétales à procréer pour assurer la survie. La fille du général échappait à ce schéma de base. 

Humaine, douée d'une conscience et d'un sens aigu de la responsabilité, elle ne se voyait pas endosser un tel rôle. L'instinct, cet instinct de reproduction, elle ne l'avait pas. Elle ne l'aurait jamais. Devait-elle alors faire semblant ? Par le passé, elle l'avait fait. Enfant surtout. Il fallait jouer à la poupée et à la maman entre deux entraînements à la survie. Evy n'y avait jamais vu d'intérêt. Elle avait toujours préféré s'entraîner. Elle avait joué le jeu pour sa mère, pour son père, pour qu'ils soient fiers d'elle, qu'ils l'aiment. Par la suite, elle s'était limitée à des réponses vagues ou à simplement éviter le sujet. Mais voilà, ce n'était plus possible. Désormais au pied du mur, elle ne pouvait plus faire semblant.

Le mur. Elle y était. Sa course s'arrêta net alors qu'elle arrivait aux limites du camp. Impossible d'aller plus loin. Impossible de repousser l'échéance. L'ultimatum était lancé et personne ne pourrait la sauver. Elle se laissa choir sur le sol boueux. A genoux, on aurait presque pu croire qu'elle suppliait une entité des temps anciens afin qu'elle lui vienne en aide. Les épaules voûtées, Evy était épuisée. Physiquement. Nerveusement. Psychologiquement. Son père avait enfoncé le clou très loin et sans lui offrir la moindre porte de sortie. Que devait-elle faire ? Que pouvait-elle faire ? Certains disaient qu'on avait toujours le choix mais c'était faux. Le choix n'existait pas. Pas ici. Malgré son désir de fuir, la décision, elle l'avait déjà prise. Elle ne voulait pas. Tout son être lui criait, lui hurlait un « NON » qui résonnait encore et encore dans sa tête. Elle se mit à trembler.

Extinction [terminé - en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant