La porte de métal était ouverte, laissant un flot humain entrer et sortir. Malgré le flux incessant, la voix du général était parfaitement audible. Une voix qui portait naturellement. Il n'avait jamais besoin de crier. Son ton et son attitude lui suffisaient pour se faire obéir. Les rares fois où il élevait la voix, plus personne n'osait respirer.
Evy suivit le mouvement et entra à son tour, approchant de l'homme qui donnait ses ordres tout en observant la réplique du camp qui trônait au centre de la pièce. Une maquette qui datait de plusieurs décennies et qui servait toujours de base pour organiser les moindres mouvements du camp. La brune se planta droite comme un piquet, les bras le long du corps.
« Wright au rapport mon général. »
Une formule consacrée dont elle aurait pu se passer depuis le temps mais le protocole restait le protocole. Son père n'aurait pas toléré le moindre écart. Il ne dit rien. Ne lui jeta même pas un regard bien qu'il se soit certainement aperçu de sa présence. Il continuait de donner ses ordres et instructions. Evy n'eut droit à son attention qu'après plusieurs minutes. Il finit par se tourner vers elle, la mine sombre.
« Dehors. »
La voix de stentor raisonna dans la pièce. Les personnes présentes se figèrent avant de prendre rapidement la direction de la sortie. Le dernier prit soin de refermer la porte derrière lui. Les mains croisées dans le dos, l'homme toisait sa fille avec froideur.
« Je pensais que tu savais comment agir depuis le temps. Tu me déçois beaucoup. »
Le ton et le regard étaient glaçants. La brune ne montrait rien de ses sentiments, elle encaissait. Entendre la déception de son père était un coup rude pour elle.
« J'ai fait ce que je croyais juste. Cet enfant risquait de se faire tuer, j'ai voulu le protéger et le ramener au camp.
– C'était idiot ! En allant le récupérer, tu as mis nos hommes en danger. Sept d'entre eux sont morts, sans compter les blessés et ça alors même que nous sommes déjà en sous-nombre.
– Que voulais-tu que je fasse ? Que je le laisse mourir ?
– Oui. »
Evy lança un regard interloqué à son père. Comment pouvait-il dire une chose pareille ? C'était inhumain, même pour lui. Evy avait du mal à comprendre sa logique. Lui qui tenait tellement à agrandir son camp en ayant des petits enfants, la vie d'un enfant devait donc lui importer.
« Il... Il se serait fait tuer par les machines si je ne l'avais pas récupéré.
– Oui. Bien sûr. »
La réponse déstabilisa la jeune femme. Il aurait voulu que le gamin se fasse tuer ? Elle avait du mal à le croire. Pourtant, l'attitude de l'homme semblait aller de pair avec ses propos. Calme, froid, déterminé, sans une once d'humanité ou d'empathie. Evy avala péniblement sa salive mais elle resta stoïque. Elle ne devait pas faiblir face à lui.
« Il a agi sur le coup de la colère. Il voulait se venger. Il n'a pas réfléchi...
- C'est bien le problème. »
L'homme s'approcha alors de sa fille, plongeant son regard noir dans les pupilles légèrement plus claires. Il se pencha vers elle, la dominant totalement, semblant presque l'écraser sous sa masse.
« Que crois-tu qu'il va se passer la prochaine fois qu'un gamin perdra les pédales suite à la mort d'un proche ou de n'importe quoi d'autre d'ailleurs ? La même chose ? Il se jettera dans la gueule du loup ?
– Non... Bien sûr que non. On sera là et...
– Et c'est bien ça le problème ! »
La voix du général était devenue dangereusement basse. La jeune femme ne se laissa pourtant pas impressionner. Même si elle était déstabilisée par les propos de son père, sa colère prenait le dessus. Pourtant, elle n'en laissait rien voir. A l'instar de son père, elle restait tout aussi calme et ne baissa pas les yeux. Elle lui tenait tête.
« Je n'allais pas laisser ce pauvre gosse se faire tuer.
– Tu aurais dû ! Cela aurait servi de leçon à tout le monde ici. On aurait perdu un enfant mais sept hommes seraient encore en vie. Quant aux autres mômes, ils auraient retenu la leçon. Ils n'agiraient pas comme des têtes brûlées en risquant leur vie car ils sauraient que personne ne leur viendrait en aide.
– Tu crois vraiment que cela suffirait ? Un gamin ne réfléchit pas autant. Il se focalise seulement sur ses émotions et c'est tout. A cet âge, s'il veut se venger, il cherchera par tous les moyens à le faire. Il ne songera pas aux conséquences même si c'est la mort qui l'attend. On apprend tous, dès notre plus jeune âge, que c'est la mort qui nous attend par delà la frontière. Ricky le savait et ça ne l'a pas empêché de passer outre. »
Leurs regards restaient rivés l'un à l'autre. Ni le père, ni la fille ne voulait reculer face à l'autre. Chacun était sûr de son bon droit.
« Visiblement, il ne le savait pas suffisamment. Si tu l'avais laissé mourir, la leçon aurait porté ses fruits pour tous les autres. »
Son père campait sur ses positions. Une chose habituelle. Evy devait reconnaître qu'il n'avait pas tort. La mort de Ricky aurait été un véritable traumatisme pour tout le camp et il était fort probable que plus un gosse n'aurait tenté quoique ce soit.
« Qu'aurais-tu fait si l'enfant avait été ton petit-fils ? »
La question était légitime. Franck tenait à lui faire quitter la frontière pour qu'elle puisse donner des enfants. Au vu des caractères d'Evy et de Franck, il y avait fort à parier que l'enfant ne serait pas dépourvu d'entêtement. Il pourrait tout à fait faire ce que Ricky avait fait.
L'homme se redressa légèrement mais son expression ne changea pas. Ses traits restaient figés.
« La même chose. »
La jeune femme ne fut même pas surprise par la réponse. Elle s'y attendait.
« Et si ça avait été moi ? »
Cette fois, le général perdit de sa contenance. De légers tressaillements agitaient le coin de ses lèvres. Parler d'un enfant hypothétique, c'était une chose mais parler d'une personne bien vivante, juste en face de soi, c'était autre chose.
« Quand maman est morte, j'aurai pu le faire. J'aurai pu prendre une arme et chercher à quitter le camp pour me venger.
– Je sais.
– Qu'est-ce que tu aurais fait ? »
L'homme ne répondit pas. Il la scrutait comme s'il cherchait la bonne réponse à donner. La lutte perpétuelle entre le père et le général. C'était comme la veille au soir mais cette fois-ci l'enjeu était d'autant plus important. L'homme finit par lui tourner le dos et avancer vers la table de la maquette.
« La même chose. »
Jusqu'au bout le général prendrait le pas sur l'homme. La disparition de sa femme avait fait disparaître le père et quoique que la jeune femme puisse dire ou faire, elle ne parviendrait jamais à le ramener.
« Hélas.
– Hélas oui. Je te l'ai déjà dit, je fais des choix pour le bien de tous et si je dois sacrifier ma fille ou mon petit-fils pour sauver le plus grand nombre, je le ferai. Je sais que tu penses autrement. Tu vis encore avec de grands et nobles idéaux ce qui est triste à ton âge. Pourtant, il va te falloir apprendre à faire passer le camp, tout le camp, avant un seul individu, quelque soit son âge ou son sexe. »
L'homme se retourna vers elle, toujours aussi froid.
« Tu m'excuseras de ne pas avoir la même insensibilité que toi. Et si un gosse recommence, encore plus si c'est le mien, je ferai exactement la même chose.
– Hier, tu ne voulais pas d'enfant et maintenant tu te vois sauver le tien ?
– Je ne veux toujours pas d'enfant mais quitte à en avoir un, je ne compte pas le laisser se faire tuer pour la cause.
– C'est bien pour ça que je te retire du service actif, pour que tu évites de prendre ce genre de décision stupide.
– Vouloir sauver son enfant c'est stupide pour toi ?
– Cela dépend des circonstances mais si cela implique de mettre en danger le reste du camp, alors oui, c'est stupide.
– C'est insensé ! »
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Extinction [terminé - en réécriture]
Science FictionEn 2163, la quasi totalité de l'humanité a disparu suite à l'affrontement contre les machines. Evelyne, avec quelques survivants, cherche à leur résister au sein la dernière cité existante. Aidée par Josh, son ami, et sous les ordres de son père, le...