Assise sur un lit de camp, Evelyne contemplait le bout de ses chaussures. Tête basse, épaules tombantes, traits tirés, tout dans son attitude montrait à la fois l'étendue de sa fatigue mais surtout sa profonde impuissance face à cet énième coup du sort. Nathan et six autres de ses hommes avaient perdu la vie. Un huitième risquait de ne pas voir le soleil se lever. Ses cris d'agonie avaient raisonné dans tout le camp durant la nuit. Alors que l'obscurité commençait à s'éclaircir, les râles s'étaient fait moins présents. Il y avait peu de chance que les plantes analgésiques aient eu soudainement un effet plus important. Le corps et l'esprit du malheureux étaient certainement en bout de course. L'esprit réagissait à la douleur quand il était en état de le faire mais là, il préférait sombrer dans le néant.
Ce genre de cris, ce type de blessures, cette mort lente et douloureuse, Evy les connaissait bien. Ils étaient nombreux ceux qu'elle avait vu passer par là. Ceux qui ne s'en sortaient pas. Ceux qui luttaient jusqu'à la dernière seconde, qui s'accrochaient à la vie plus que tout, ceux dont le corps épuisé finissait par rendre les armes. Cela pouvait durer des minutes, des heures, des jours parfois. Dans le camp, ces moments étaient toujours terribles. Les hurlements rappelaient à tous le prix à payer pour être encore en vie. Le silence était alors la règle d'or pour tous. Personne ne parlait et quand il fallait le faire, c'était toujours en murmurant. La parole était bannie de la cité durant l'agonie du blessé. Elle ne reprenait que lorsque le combattant avait abandonné. Elle s'illustrait alors par de nouveaux cris, des pleurs et une douleur partagée. Tous se connaissaient et quand l'un des habitants perdait la vie, c'était toute la population qui était touchée. Et quand la peine se dissipait, venait le temps de la colère et de la vengeance qui se cristallisaient sur l'ennemi commun. Une rancœur et une haine qui permettaient à tous de survivre depuis plusieurs décennies. Un cercle qui ne semblait jamais vouloir se briser comme une ronde que tous dansaient et continueraient à danser sur plusieurs autres générations. Une danse macabre.
Une goutte d'eau salée vint s'écraser sur la poussière qui recouvrait le cuir noir usé. L'absurdité de la situation ne cessait d'obnubiler la brune. Toutes ces morts avaient-elles vraiment une utilité ? Permettraient-elles un jour de voir le bout du tunnel ou était-ce futile de vouloir résister encore et toujours ? La jeune femme ne savait plus vraiment quoi en penser. Elle avait sauvé la vie d'un gamin mais au prix de nombreuses autres vies. Des hommes, des femmes avaient trouvé la mort, des familles étaient en deuil. Et pour quoi ? Pour un jour de plus ? Une nuit de plus ? N'en étaient-ils pas au stade où l'Homme vivait ces dernières heures ? Tous agonisaient un peu plus chaque jour.
D'un geste rageur, Evy essuya la trace laissée par sa larme. Elle était en colère contre son impuissance, contre elle-même, contre cette survie qu'on lui imposait. Elle ne voulait pas mourir. Non. C'était même tout le contraire, elle voulait vivre. Vivre et pas juste survivre. Pourtant, cela lui semblait de plus en plus impossible. Elle avait envie de hurler son impuissance mais savait cela profondément inutile. Elle était fatiguée. Tellement, tellement fatiguée. Elle frissonna. La nuit avait été longue. Elle avait dû se rendre auprès de chaque famille pour annoncer les décès à la demande du général. Il avait voulu enfoncer le clou en lui montrant les conséquences de son choix. Une décision qu'elle avait défendue bec et ongles devant lui. Pourtant, elle commençait à douter de la justesse de sa décision. Les pleurs, les cris, la peine, semblaient avoir balayé tous ses idéaux. Elle ne savait plus où elle en était.
Une couverture vint envelopper ses épaules alors que de nouveaux frissons venaient parcourir son corps. Elle n'avait pas besoin de relever la tête pour savoir de qui il s'agissait. Le poids d'un autre corps fit protester le lit de fortune. Une tasse fumante fut placée sous le nez de la brune. Les effluves de l'écorce de saule remontèrent à ses narines. Le remède courant pour soulager la douleur. L'un des seuls qu'ils possédaient.
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Extinction [terminé - en réécriture]
Science FictionEn 2163, la quasi totalité de l'humanité a disparu suite à l'affrontement contre les machines. Evelyne, avec quelques survivants, cherche à leur résister au sein la dernière cité existante. Aidée par Josh, son ami, et sous les ordres de son père, le...