Chapitre 19 : Culpabilité - Partie 1

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Le plafond cloisonné représentant les multiples constellations était hypnotique pour le regard sombre d'Evy. Étendue sur le lit de Gabriel, la militaire ne cessait de se repasser en boucle tout ce qui s'était passé depuis la veille au soir. Son idée concernant la symbiose avec les machines, l'opposition de l'androïde, le choix de la cohabitation et la peur de son ami de disparaître, absorbé par la matrice, sa mère.

La peur avait été plus que palpable dans le regard et l'attitude de Gabriel. Elle n'aurait jamais crû qu'il puisse à ce point ressentir la peur. Elle avait essayé de se mettre à sa place et la peur l'avait saisi à son tour. La mort était une chose mais perdre son identité, son âme pourrait-on dire, était bien pire. Elle ne pouvait que compatir face aux craintes de son ami. Elle-même serait terrorisée face à cela. Dès lors, la cohabitation, et non la symbiose, humain-machine était la plus envisageable.

Une bonne partie de la nuit avait été occupée à imaginer et planifier cette coexistence pacifique. Gabriel s'était concentré sur l'aspect médical. Il avait dû essayer de concevoir le « gardien », terme qu'ils avaient choisi pour désigner ceux qui embrasseraient cette cohabitation. Associer mécanique et humain sans dénaturer l'un ou l'autre n'était pas chose aisée surtout si on ne voulait pas que les consciences se heurtent mais cohabitent.

C'était des considérations scientifiques qui dépassaient largement les compétences de la militaire. Elle était apte à réaliser des sutures ou même extraire des balles. Elle avait même assisté la médic du camp pour couper les membres de certains de ses soldats mais toucher à de la chirurgie comme celle que devait travailler Gabriel était hors de ses capacités.

Alors que Gabriel réalisait de multiples simulations, elle s'était concentrée sur l'aspect organisationnel. Elle devait, d'une part, essayer de concevoir une hiérarchie qui constituerait la structure du futur camp. Et, d'autre part, elle devait réfléchir à un moyen de convaincre les siens d'accepter cette évolution. Après des décennies de conflit contre ceux que tous considéraient comme l'ennemi suprême, il allait falloir persuader les humains de coexister avec eux et même plus que cela, que certains acceptent de partager leur propre corps avec eux. Le transhumanisme semblait la voie à suivre pour sauver la race humaine.

Rien ne serait facile. Evy en était parfaitement conscience mais elle était persuadée que la raison prendrait le pas sur la colère, la rancune et la haine. Son père lui avait fait comprendre qu'elle avait bien plus d'impact au sein du camp que ce qu'elle pensait. Après son discours et son choix de quitter le service actif, plusieurs femmes avaient décidé de suivre son exemple sans même que la militaire ne demande quoi que ce soit. Elle en avait été la première surprise mais c'était certainement une carte qu'elle devrait à nouveau jouer.

Ce ne serait pas gagné. Elle ne doutait pas de l'opposition du conseil militaire et de son père en particulier. La voyant revenir du monde des machines en prônant la coexistence avec ces dernières, elle se doutait de ce qu'il allait penser. Il l'accuserait d'avoir été corrompue et de trahir sa race. Il ne serait certainement pas le seul dans ce cas. S'il prenait l'ascendant sur le reste du camp, elle risquait de finir avec une balle en pleine tête.

Elle allait devoir affronter le général et jouer à celui qui aura le plus d'influence sur les autres. Si les plus âgés voudraient probablement sa tête, Evy voulait miser sur les plus jeunes et sur ses propres hommes. Elle voulait parier sur le désir de paix et l'envie de mettre fin à toutes ces pertes. Les morts avaient été nombreux ces derniers temps. Des pertes qui avaient touché tout le monde, d'une façon ou d'une autre.

Elle devrait aussi mettre l'accent sur la survie des enfants. Le général avait abaissé l'âge du recrutement et cela faisait autant de jeunes précipités vers la mort. Elle se rappelait parfaitement le regard des mères dont le fils ou la fille avait atteint l'âge fatidique ou n'en était pas loin. Elles se préparaient déjà à leur mort. Peine , tristesse, colère, résignation... Elles étaient passées par tous les sentiments avant de simplement accepter la fatalité. Si elle leur en donnait la possibilité, la jeune femme pensait que toutes ces femmes se rangeraient de son côté. Les pères risquaient de les suivre. Quant à ses hommes, ceux qui l'accompagnaient comme ceux qu'elle avait formés, elle espérait qu'ils choisiraient de la soutenir.

Extinction [terminé - en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant