Chapitre 14 : Emerveillement - Partie 1

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Encore une fois, la journée avait été particulièrement rude pour Evy. Entre son envie de tout plaquer et de fuir retrouver les siens, sa rencontre avec l'ennemi et, cerise sur le gâteau, apprendre les ignominies commises par ceux qu'on appelait les nazis, cela faisait beaucoup. Elle n'en revenait toujours pas que des êtres humains aient pu commettre autant d'exactions et aller aussi loin dans la barbarie.

La jeune femme connaissait bien la guerre. C'était sa fidèle compagne depuis sa naissance. On venait au monde avec la guerre et on quittait ce monde à cause d'elle. Elle, comme tous ceux du camp, ne connaissait que ça. Une guerre interminable qui rythmait leur quotidien. Tout commençait avec elle et tout se terminait avec elle.

Les morts, les souffrances, les privations, ils y étaient tous habitués. Pourtant, rien de ce qu'ils avaient pu vivre ne pouvait atteindre ce que ces hommes du passé avaient fait. La combattante avait dû faire des choix impossibles. Elle avait vu des corps éventrés, déchiquetés, pourris et rongés par les vers. Mais toutes ces horreurs n'étaient pas le fait des hommes mais le résultat de la guerre contre les machines. Cela n'avait rien à voir avec une élimination volontaire et réfléchie d'autres humains.

Si ce n'était pas Gabriel qui lui avait donné toutes ces informations, elle n'aurait jamais voulu le croire. Qui pourrait croire une chose pareille ? Son père savait-il tout ça ? Et les Anciens ? Avaient-ils volontairement caché une partie du passé humain pour que les nouvelles générations ne s'interrogent pas sur le bien fondé du combat et sur la survie de l'espèce ?

Non. Elle allait trop loin dans ses réflexions. A part elle, personne ne connaissait la vérité derrière cette guerre. Aussi connaître l'Histoire n'aurait certainement pas changé grand-chose si ce n'est montrer l'immondice d'un passé révolu. Mieux valait se concentrer sur le présent et un potentiel futur.

Pour autant, Evy ne pouvait s'empêcher de penser qui si ça ne changeait effectivement rien au présent, inutile de passer tout cela sous silence. Malheureusement, elle avait peu de chance d'avoir une réponse sur le « pourquoi » de tout ça. Elle pourrait peut-être interroger le groupe des Anciens quand tout cela serait enfin terminé.

« Ouaf ! »

L'aboiement de Max la fit sursauter. Perdue dans ses pensées, elle avait presque oublié la main qui la guidait vers son lieu de résidence. Le chien caramel faisait des petits bonds autour du couple, cherchant à attirer l'attention de la jeune femme.

« Il faut l'excuser. Il est tellement content de voir quelqu'un d'autre que moi. Il a rarement l'occasion de voir les hologrammes de mes congénères. Il a surtout connu les différents types de machines mais pas d'humains ou rien qui y ressemble à part moi. Je pense qu'il est vraiment ravi de votre présence ici. »

Evy gratifia l'animal d'un sourire qui redonna vie à tout son visage. Elle s'étonna d'être encore capable de sourire après tout ce qu'elle venait de voir, d'entendre et d'apprendre. Un moment, elle avait pensé que toute forme de joie avait quitté son être. Un froid glaçant s'était emparé d'elle et menaçait de la geler de l'intérieur jusqu'à la fin des temps.

Mais il n'en était rien. Après la pluie, venait le beau temps comme le disait le proverbe. La brune avait toujours pensé que ce genre de proverbes était stupide. Des évidences qu'on se répétait comme s'il s'agissait de révélations majeures. Elle se rendait cependant compte en cet instant que ces phrases si banales et convenues pouvaient apporter un réconfort inattendu. Un petit espoir qui brillait comme un phare dans la nuit.

L'androïde lui avait fait côtoyer le pire mais il lui avait aussi promis de lui montrer le meilleur. Il la menait, main dans la main, vers cette terre promise. Les horreurs dont elle avait été témoin aujourd'hui, étaient liées au passé. Il fallait en tirer les leçons et aller de l'avant.

« En me montrant tout cela, vous ne vouliez pas seulement me préparer à ce que l'avocat allait me balancer à la figure, n'est-ce pas ? Vous vouliez me voir réagir et comprendre que le passé était important mais qu'il ne fallait pas non plus s'y perdre.

– C'est vrai. Le passé est ce qu'il est et vous ne pourrez rien y changer. Même si notre civilisation est très performante, nous n'avons pas encore réussi à voyager dans le temps. Connaître le passé est primordial pour pouvoir en tirer des leçons mais il ne doit pas non plus être un fardeau. Vous n'êtes pas responsable de ce passé. Vos ancêtres, au sens large, ont mal agi mais eux, ce n'est pas vous, ni votre père, ni Joshua, ni personne de votre monde. Vous ne devez donc pas vous sentir coupable de quoi que ce soit. »

Les paroles de Gabriel ressemblaient à un baume apaisant et réparateur sur le cœur et l'âme de l'humaine. Après le chien, ce fut le maître qui fut gratifié d'un mouvement délicat des lèvres pâles de la jeune femme. Le froid avait eu raison de leur couleur habituelle, un rose légèrement soutenu. En d'autres temps, on aurait pu croire qu'elle portait un rouge à lèvres mais il n'en était rien. C'était une teinte dont la nature l'avait naturellement dotée.

Une chose dont elle faisait peu cas. L'apparence ne comptait pas pour elle. D'ailleurs, elle supportait mal son reflet dans les rares éclats de miroir que son lieu de vie habituel possédait encore. Certainement parce qu'elle y voyait le reflet d'une soldate qui avait perdu des amis, des frères d'armes, des jeunes qu'elle avait formés. Des pertes qui ne s'effaceraient jamais. Enracinées au plus profond de son être, elle devait vivre avec mais ne supportait pas pour autant de se voir confronter à ce qu'elle était. Un être hybride qui oscillait entre l'humain et le monstre au gré des situations et des combats.

La lumière des néons éblouirent la jeune femme alors qu'ils franchissaient les portes du petit immeuble. Elle cligna plusieurs fois des yeux pour les habituer à ce changement brutal de luminosité. Un contraste violent avec l'obscurité nocturne.

« Ça va Evelyne ?

– Oui, oui, ça va. C'est juste la lumière. »

Elle se frotta les yeux avant que ses pupilles ne finissent par s'adapter. Elle était probablement restée trop longtemps dehors. Bien que les étoiles soient présentes, leur éclat était sans commune mesure avec celui de la fée Électricité.

La jeune femme frissonna derechef et cette fois, c'était de froid. Elle ne s'était pas rendue compte de l'abaissement de la température extérieure alors même qu'ils se trouvaient quasiment en hiver. Tout ce qu'elle avait vu aujourd'hui avait dissocié son corps et son esprit. Les deux semblaient se reconnecter progressivement depuis l'arrivée de Gabriel et leur retour à l'intérieur.

Evy se frotta les mains l'une contre l'autre dans le but de se réchauffer. Tout son corps grouillait de fourmis. L'inactivité ne lui pesait jamais. En tant que snipeuse, elle était capable de très longues stations immobiles mais après, c'était toujours pareil, le corps reprenait ses droits et lui faisait comprendre à quel point il n'était pas fait pour ça.

« J'ai froid aussi. »

Pure évidence. Elle s'emmitoufla dans le manteau pour tenter de se réchauffer un peu. Elle se rendit alors compte que son pantalon était mouillé. L'herbe gorgée d'humidité avait trempé ses affaires. Cela n'allait pas l'aider à gagner quelques degrés.

« Allez vous changer. Je vous attends. »

Evy hocha simplement la tête et emprunta rapidement le couloir et les escaliers lui permettant de rejoindre sa chambre. Elle ne tarda pas à se délester de ses affaires humides pour en revêtir d'autres, sèches.

Le tissu sec et doux fut apprécié par son corps. Elle étala ses vêtements mouillés sur un fauteuil, histoire d'essayer de les sécher, avant de rejoindre Gabriel. Elle ne voulait pas rester seule trop longtemps. Si, durant l'après-midi, elle avait eu besoin de solitude. Là, elle préférait avoir de la compagnie. Son esprit éviterait ainsi de se fixer sur des images traumatiques et des questionnements morbides.

La jeune femme reprit son chemin en sens inverse et ne tarda pas à rejoindre le cyborg. Bras croisés, appuyé négligemment contre le mur d'acier, il l'attendait comme il le lui avait promis. Il lui adressa un sourire alors qu'elle arrivait devant lui.

« Ça va mieux ?

– Oui... Enfin, j'ai moins froid. Pour l'esprit, c'est autre chose. »

L'homme ne répondit pas. Il devait se douter que la jeune femme aurait bien du mal à surmonter ce qu'il lui avait montré quelques heures plus tôt. Rien de ce qu'il pourrait dire ne changerait quoi que ce soit dans l'immédiat.

Extinction [terminé - en réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant