5 / Premier désagrément passager

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L'agneau avait repoussé le loup ! Voilà qui était inattendu. Inattendu et vexant. Personne ne lui avait jamais parlé de difficultés de ce genre parmi les siens. À bien y réfléchir, aucun Znūntāk ne discutait vraiment au sujet du Yāasht. C'était juste quelque chose qui pouvait leur arriver. Comme l'apparition d'un don, on l'acceptait. Son absence n'empêchait pas d'aimer, de ressentir du désir, de la tristesse. On savait juste que le Yāasht rendait tout cela plus intense et qu'il attachait votre éternité à un autre être.

Dresden lui-même, bien loin de penser que cela pouvait lui arriver, n'avait jamais posé de questions. Comment aurait-il pu imaginer qu'il serait touché ? Il n'était, ni le plus ancien, ni le plus expérimenté des siens, et ne se sentait pas particulier, malgré son don. Rien ne le désignait comme candidat plus probable qu'un autre. Mais, manifestement, il n'y avait pas de critères de sélection. Ça pouvait tomber sur n'importe lequel d'entre eux.

Aren, le seul « frère », qui avait été touché par le Yāasht, et dont il était suffisamment proche pour discuter du phénomène, ne lui en avait jamais réellement parlé. Il avait évoqué à demi-mot cette manifestation d'attachement, sans jamais approfondir ses propos. Et pour cause ! Le sujet était douloureux pour lui.

Inévitablement, ne connaissant que les grandes lignes, - c'est à dire pas grand-chose -, et ignorant tout le reste, la question que se posait maintenant Dresden, concernait ce qu'il ressentait exactement. Était-ce bien le Yāasht, ce besoin puissant qui le lierait à jamais à son Kachnefer ? Ou bien, un désir juste un peu plus fort que d'habitude pour un garçon qui lui plaisait ? Comme cet intérêt pour une personne du même sexe que lui, lui était étranger jusqu'à présent, la question pouvait se poser, en effet.

Assis dans sa voiture à tenter de ne pas broyer le volant, il savait pourtant que la seconde option n'était pas envisageable. Il souffrait. Or, le désir ne l'avait jamais fait souffrir. Et l'amour, s'il avait inéluctablement amené à la tristesse face à la finitude des mortels, ne lui avait jamais infligé une telle épreuve. Merde ! Ça ne serait pas aussi simple que prévu ! Il allait devoir revoir ses plans et surtout, en parler à quelqu'un, car la seconde question qu'il se posait, nécessitait des éclaircissements.

Pourquoi ce Camille ne ressentait-il rien pour lui ? Normalement, enfin, il imaginait que c'était comme cela que ça devait se passer, les Kachnefer étaient attirés l'un vers l'autre, indiscutablement. Le Yāasht était un lien invisible qui les unissait pour toujours. L'éternité s'offrait ensuite à eux.

Quelque chose clochait chez ce garçon... s'il avait ressenti même la moitié de ce qui le torturait désormais, lui, il l'aurait vu dans ses yeux. Or, Dresden n'y avait vu que de la défiance et de l'irritation. Le soupçon de désir fugace que le jeune homme avait laissé passer, ne comptait pas. C'était comme un réflexe naturel quand on voyait Dresden. Il avait l'habitude. À bien y réfléchir, ce Camille n'avait même pas eu le comportement de ceux qui le croisaient en temps normal : cette stupeur dans les yeux, ce voile qui passait, porteur de désir inavouable. C'était suspect.

Merde ! Merde ! Merde ! Il fallait que ça tombe sur lui ! Un Kachnefer sociopathe, incapable de reconnaître ses sentiments et de les accepter ! Le Znūntāk regarda le bus redémarrer lentement et tenta de mettre en sourdine la rage qui tournoyait en lui à l'idée qu'il ne pourrait pas posséder immédiatement l'objet de son obsédant désir.

***

— C'est impossible à ma connaissance, répliqua Aren depuis l'autre côté du salon. Le Yāasht est réciproque.

Le Znūntāk lisait tranquillement, assis dans sa bibliothèque personnelle en buvant un thé aux arômes délicats de jasmin et d'orange, quand Dresden s'était annoncé à sa porte. Il aurait pu l'y laisser et continuer sa lecture nocturne, mais, s'il y avait une chose qu'Aren savait, c'était que son ami ne se serait jamais permis une visite impromptue pour une peccadille. Il devait avoir quelque chose à dire qui vaille la peine de le déranger en pleine nuit. Et effectivement, le sujet mobilisait, à présent, toute son attention. Le Yāasht ne devait pas être pris à la légère.

De notre sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant