4 / Premier contact

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La soirée était bien avancée maintenant. Camille finit son service les mains dans la vaisselle, pendant que les clients disparaissaient par grappes bruyantes et parfois titubantes. Finalement, ça s'était bien passé. Aucun incident majeur, si on ne tenait pas compte du mec tabassé dans la ruelle qui n'était pas réapparu, et quelques éclats de voix suivis de duels de regards éloquents. Les négociations avaient sans doute abouti à un consensus, car ne comprenant rien au chinois, mais maîtrisant suffisamment le japonais, la jeune femme avait capté quelques bribes de conversations en ce sens.

— Tu peux y aller, Cam'. Est-ce que tu pourrais tirer la grille en partant ? Nous sortirons par la ruelle, lui dit le patron alors qu'elle finissait de ranger une pile d'assiettes propres.

— OK patron. On se voit demain soir ?

— C'est ça. Je te donnerai ta paye du mois. Je te remercie. Tu as fait du bon boulot ce soir, gamin.

— Merci, m'sieur.

— Allez ! File ! Tu as sans doute des cours demain ! Ne prends pas l'excuse de t'être couché tard pour ne pas y aller, hein !?

— Non, M'sieur... De toute façon, je dois rendre un devoir. Je n'ai pas vraiment le choix.

— Allez ! File !

Camille ne se fit pas prier. Elle était épuisée de sa soirée. En s'habillant pour sortir, elle songea à la sollicitude de M. Shitake à son égard. Elle trouvait amusant la préoccupation de son patron pour son assiduité scolaire. Il lui semblait normal qu'un étudiant travaille pour payer ses études, mais il n'admettrait jamais que combiner les deux, puisse poser problème. Et pourtant, c'était bien le cas. Bref.

***

Camille sortit et referma bien la porte en la tirant aussi fort que possible vers elle. Elle savait que sinon, elle ne parviendrait pas à faire tourner la clé dans la serrure. En cause : une tentative d'intrusion, plusieurs semaines auparavant, qui avait faussé le mécanisme. Vu la nature des relations qu'entretenaient M. Shitake avec les clients de ce soir, Camille était prête à parier que ça ne se reproduirait pas.

Ensuite, elle déploya les grilles avec précaution pour éviter qu'elles ne réveillent tout le quartier en grinçant. L'air froid lui vola la chaleur de son souffle pour former deux petits nuages qui s'effilochèrent aussitôt, disparaissant dans l'obscurité de la nuit.

Emmitouflée dans sa vieille veste militaire, doublée d'une moumoute salutaire, qui descendait bas sur son jean élimé, baskets aux pieds, mitaine aux mains, et besace en bandoulière, Camille enfonça son bonnet de laine noir plus profondément sur ses cheveux pour protéger ses oreilles du froid et se retourna. Et là, elle sursauta.

— Putain ! Vous m'avez fait peur ! s'exclama-t-elle spontanément de sa voix un peu éraillée.

Le beau mec était adossé à la portière d'une voiture aussi sombre que son regard. Un engin bas et large qui devait vrombir au moindre effleurement de la pédale d'accélération. Il l'attendait en fumant une cigarette, dont il jeta le mégot aussitôt après qu'elle eut pris conscience de sa présence. Il sourit à son interjection, révélant une rangée de dents blanches parfaitement alignées.

Camille réalisa son erreur immédiatement. Son réflexe malheureux venait de montrer à ce mâle alpha, qu'il pouvait avoir une quelconque influence sur elle. Et la peur n'était pas la meilleure qui soit, concernant la suite d'une relation quelle qu'elle soit. Et merde ! Elle ne parviendrait plus à se rendre invisible ! C'était mort ! Elle allait devoir changer de parade.

Elle hésita à retourner dans le resto. De la lumière filtrait. Les patrons étaient là pour un bon moment. Mais le temps d'ouvrir la grille et la porte, laisserait bien trop d'opportunités d'agir à ce type, s'il avait l'intention de lui faire du mal. Elle se refusait à lui tourner le dos.

De notre sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant