Dresden se mit à courir le long du quai, Sola et Lucie sur ses talons. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour remonter la piste des deux fugitives. Malgré tous les efforts d'Indra, il n'avait pas été difficile de comprendre qu'elles avaient emprunté l'un des deux bateaux partis de l'île à l'aube. L'un, allait vers le nord, vers les côtes Japonaises. L'autre, plus imposant, vers le sud, vers Singapour.
Le premier bateau n'accostant que dans plusieurs jours, ils avaient choisi la seconde destination, plus proche, et donc plus susceptible d'avoir été prise par les deux jeunes femmes. Grâce à Imelda, leur propre bateau, plus petit et rapide, avait atteint la seconde destination en très peu de temps, manquant de peu l'appontement et le débarquement du paquebot.
— Elle est là. Je la sens.
— Ici, ici ? Ou plus largement dans cette ville ? demanda Sola en cherchant des yeux dans la foule d'inconnus qui les environnaient, le visage de Camille.
— Dans cette ville.
— C'est pas gagné. C'est grand, Singapour. On devrait peut-être aller à l'aéroport direct ? Si elle veut rejoindre la France, comme on le pense, c'est la solution la plus simple. D'autant que si Indra l'aide, elle n'aura aucune difficulté à monter dans un avion.
— Non, dit Dresden en caressant le médaillon les yeux dans le vague. Elle n'est pas à l'aéroport. Je vois des arbres.
— Ça va pas nous aider beaucoup. Genre. C'est comme de dire, il y a des gens ou des buildings autour. Y'en a partout ici.
— Des arbres métalliques. Les Jardins de la baie. Il faut se dépêcher. Indra l'attaque.
— Quoi ? Mais pourquoi ferait-elle ça ? Elle l'a aidée à fuir, non ?
— Je n'en sais rien, Sola ! Je ne comprends pas ce qui se passe ! Il faut y aller !
— Il vous faut de l'aide, dit alors Imelda en les retenant pas le bras. Vous avez prévenu la Matriarche ?
— Pas encore. Nous pensons qu'Indra prend ses ordres d'elle.
Imelda leva un sourcil étonné. La Znūntāk avait de nombreux griefs envers Mathilde, mais pas celui d'être une comploteuse. La Matriarche faisait toujours les choses ouvertement.
— Et si ça n'est pas le cas ? Indra agit peut-être ainsi pour une autre raison ?
— Laquelle ?
— Je n'en sais rien, mais le doute est permis.
— Imelda a raison ! Je vais la prévenir, dit Lucie.
— Contacte aussi Zhihao, dit Sola d'un ton lugubre. Nous allons avoir besoin de sa clique.
— Sola...
— Quoi ?
Lucie soupira avant de reprendre.
— Je prends contact avec Zhihao et sa communauté, dès que la Matriarche sera prévenue. Ensuite, je contacte Aren. Au cas où Indra serait sous les ordres de Mathilde... on ne sait jamais.
— Tu as raison. Fais comme ça, nous on file. Imelda ?
— Je reste ici. Je prépare la suite, dit la « sorcière » en prenant le chemin du bateau. Les combats n'étaient plus de son âge depuis longtemps.
***
Sa proie avait sauté dans le lac avec détermination. Plusieurs personnes l'avaient suivie sans aucune hésitation, sous les yeux de touristes éberlués. Indra ne pouvait manipuler tout le monde à la fois. Tant pis. De toute façon, il lui fallait des témoins. C'était juste qu'ils en auraient vu un peu plus que prévu.
***
Camille tentait de nager le plus vite possible, mais elle manquait d'efficacité. Non seulement elle n'avait jamais été une nageuse de fond, mais en plus, son corps, durement sollicité la veille par son combat contre son élément, et aujourd'hui par sa lutte contre le Yāasht, s'épuisait vite, alors qu'elle n'avait même pas parcouru la moitié de la distance qui la séparait de la rive opposée.
Et puis, son don s'agitait toujours en elle. L'eau était boueuse, le fond, beaucoup trop près. Un lac n'était pas un océan. La terre voulait l'aider, sans discernement. Elle voulait honorer leur pacte. Elle ne comprenait pas son refus.
Et puis, une main lui attrapa la cheville avec force.
***
Un geyser propulsa les deux hommes dans les airs, à plusieurs mètres. Des cris et hurlements s'élevèrent parmi les témoins de ce phénomène, pour le moment inexplicable. Le service de sécurité du parc, qui s'était mis en action pour récupérer les idiots qui s'étaient jetés dans le lac alors que c'était strictement interdit, stoppèrent leur action en cours, - c'est à dire, la mise à l'eau d'un canot -, pour fixer avec stupeur cette manifestation aqueuse qui n'avait aucune raison d'être. Il n'y avait pas de jets d'eau programmables à cet endroit.
Indra avait abandonné son emprise sur les personnes autour d'elle pour se concentrer sur Camille dont l'esprit de plus en plus chaotique, l'attirait comme le pollen, une abeille. Elle sentait la panique qui envahissait la jeune fugitive à cause de l'épuisement qui la gagnait, à cause de son don qui s'agitait et qu'elle ne maîtrisait pas. Camille n'avait pas pu s'empêcher de réagir face aux deux assaillants qui l'avaient rejointe sans difficulté. La terre tourbillonnante des fonds avait impulsé le mouvement à l'eau, repoussant ceux qui voulaient du mal à sa championne, mais la laissant seule à la vue de tous, au milieu du lac. Seule et épuisée. À la merci d'Indra.
***
Camille sentit la poussée mentale de son ennemi. Elle remuait la colère en elle, appelait la terre à se rebeller. Elle voulait provoquer une catastrophe... La jeune femme ne savait plus quoi faire. Elle avait du mal à maintenir sa tête hors de l'eau. Elle avait l'impression que ses membres étaient de plomb. Réalité ? Influence d'Indra ? Comment réagir ? Et si elle feignait la noyade ? Mourrait-elle réellement ? Sola lui avait dit que la mort n'était pas chose facile pour les Znūntāks. Il fallait des conditions bien particulières pour parvenir à les éliminer, comme le poison des Dévoreurs. Est-ce que la noyade faciliterait l'objectif de son ennemie ? Inconsciente, la télépathe parviendrait-elle à la manipuler ?
Alors qu'autour d'elle, l'eau remuait de manière de plus en plus inquiétante sous les impulsions de la terre, Camille sentit une présence près d'elle. Elle se retourna prête à tenter de riposter, s'attendant à découvrir un touriste sous emprise. Mais il n'y avait personne. Et le service de sécurité n'arrivait pas à mettre sa barque à l'eau. Alors quoi ?
***
Indra sentit la griffe d'une présence étrangère la repousser avec violence. Comment était-ce possible ? Camille était trop faible pour lui résister, maintenant. L'exécutrice repartit à l'assaut de son esprit et fut repoussée encore une fois. Indra tenta de discerner autour d'elle, une présence qui justifierait cette protection qu'elle ne comprenait pas. À sa connaissance, elle était la seule Znūntāk télépathe, et autour d'elle, il n'y avait qu'un attroupement de touristes effarés. Elle reporta son attention sur Camille. Cette fois, elle ne parvint même pas jusqu'à elle. Un brouillard épais s'était levé autour de la jeune femme, formant une barrière infranchissable aussi bien visuellement que psychiquement.
***
Camille allait sombrer quand le brouillard l'enveloppa.
— Faites la planche, Mlle Dorville, dit alors une voix familière.
Son fantôme ! Celui qui l'avait aidé sur les pentes du volcan ! C'était impossible ! Est-ce qu'elle devenait folle ? C'était vraiment trop bizarre ! Mais peu importait, cette voix l'avait déjà aidée. Camille obéit donc sans plus réfléchir. Elle se mit à flotter sur le dos, et le tumulte s'apaisa autour d'elle. La terre au lieu de vouloir la venger semblait avoir compris qu'elle devait la protéger en l'enveloppant d'un cocon infranchissable comme sur la montagne. Camille se laissa dériver lentement vers la rive opposée, savourant à sa juste mesure le répit qu'elle savait bref. Dès qu'elle serait de nouveau sur la terre ferme, le combat reprendrait. C'était sûr. Indra n'allait pas abandonner aussi facilement.
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De notre sang
RomansaCamille est un être double. Par son prénom et son physique, elle brouille les pistes. Elle cache un lourd secret qui l'a forcée à être ce qu'elle est : indépendante et méfiante à l'excès. Sa rencontre avec un inconnu, aussi énervant qu'inquiétant, l...