De notre sang

36 / Se battre pour survivre

Il y a des moments dans la vie où le temps paraît passer de manière étonnamment lente, et où l'on a l'impression de discerner chaque détail avec une précision chirurgicale. C'était ce qui était en train d'arriver à Camille.

Figée près d'Antoine, elle assista à l'enchaînement de Sola à la table, vit ses trois gardiens sortir en silence, tandis que chaque sethien restant autour de la table sacrificielle brandissait avec fierté sa dague. Elle vit chacune des dagues se planter dans les paumes et les pieds nus de la jeune sacrifiée. Elle vit le sang épais se répandre sur la table. Elle vit Lara passer sa lame sur la gorge de la vieille oracle en souriant. Elle vit la propre arme du commandeur s'élever au-dessus de Sola. Elle vit leurs yeux et leurs sourires à tous, empreints de folie.

Puis, les sons la heurtèrent brutalement : les hurlements de Sola, et les mots incompréhensibles psalmodiés par le Commandeur que ses adeptes répétaient à l'envie. Alors, tout revint à sa vitesse normale.

C'est à ce moment-là que Camille sut ce qu'elle avait à faire. Elle n'avait pas le choix. Quelqu'un devait mourir, et pour une raison qu'elle ignorait encore, elle ne voulait pas que ce soit Sola. Même si ses yeux rouges témoignaient de sa nature étrange, elle ne pouvait la laisser disparaître sans avoir rien tenté pour elle. Pas moyen.

Camille jeta un bref coup d'œil autour d'elle. Personne ne semblait se préoccuper d'elle. Comme à chaque fois, sa silhouette fragile trompait l'adversaire. Comme à chaque fois, l'ennemi la sous-estimait. Pourtant, Antoine l'avait vu s'entraîner, mais il ne l'avait pas prise au sérieux. Quel imbécile ! Obnubilé par la force des « vampires », il avait l'impression de pouvoir faire face au reste sans difficulté. Quelle erreur, il faisait ! Quelle aubaine pour elle !

Avant qu'il n'ait eu le temps de frapper lui-même, Camille se lança et entailla le torse du Commandeur, d'un geste ample et sûr, faisant gicler le sang frais jusque sur son visage. Il recula de surprise et de douleur en lâchant sa dague. Puis, profitant de la stupeur que son geste avait provoquée chez les sethiens, la jeune femme se hissa sur la table et passa par-dessus le corps de Sola sans la toucher, pour atteindre celle que l'on destinait, elle aussi, à un grand avenir : Lara.

Camille avait deviné qu'elle avait été choisie pour être le prochain oracle. La traîtresse. Celle qui lui avait menti pendant sept mois, nourrissant une haine souterraine et délétère. Elle ne la laisserait pas accéder à ce pouvoir de prescience, car il était évident qu'elle s'en servirait contre elle. Lara avait été une menace que Camille n'avait pas su anticiper. Elle ne la laisserait pas définir son avenir. Jamais. Elle devait l'éliminer.

Lorsque Camille lui fit face, Lara tenta de la frapper, mais même si elle avait reçu un entraînement, elle n'avait jamais eu à se battre pour survivre. Elle ne s'était jamais trouvée dans la position de proie, au abois et acculée, prête à mourir. Elle n'avait jamais connu ce sursaut de l'âme qui enchaîne le corps à l'instinct, qui transcende le réflexe et agit sans conscience. Camille, si.

En quelques secondes, la jeune femme enchaîna trois coups distincts, mais un seul était mortel. Elle le savait. Lara aussi. Cette dernière tenta d'endiguer le jet continu de sang qui s'échappa brusquement de son cou, une fois la lame retirée. En vain. Elle s'effondra avant même que Louis et le garde ne tentent de rejoindre son agresseuse.

Camille, d'ailleurs n'avait, elle-même, pas attendu de voir sa victime tomber, elle avait sauté au bas de l'estrade et avait déjà atteint un autre coin de la pièce, quand les deux hommes se lancèrent à sa poursuite. Jeanne, elle, s'était précipitée sur Lara. Antoine était aux côtés du Commandeur et l'aidait à fuir par la porte près de la cheminée.

Camille échappa encore à ceux qui la pourchassaient en poussant brutalement la cage, d'un coup de pied, contre la porte par laquelle les sethiens étaient arrivés. Puis de nouveau en mouvement, elle attrapa le tabouret, sur lequel on l'avait assise plus tôt, le fracassa sur le mur, s'empara d'un morceau, et s'en servit pour projeter des braises enflammées de la cheminée sur ses poursuivants alors qu'elle-même rejoignait la table où Jeanne tentait de sauver Lara.