59 / Face à soi-même

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Camille s'allongea à même le sol, les yeux perdus dans les quelques nuages venus moutonner dans le ciel azur. Sola était redescendue en la laissant sur le promontoire. Son histoire avait plongé Camille dans une profonde réflexion. Avait-elle réussi à la convaincre de ne pas s'enfuir ? Pas exactement. En réalité, elle avait conforté l'image qu'elle avait de Dresden. Il tuait des personnes, sans nul doute possible. Mais il n'était pas un tueur. Il travaillait pour sa communauté. Il était un exécuteur. Un soldat. Droit dans ses bottes, loyal, épris de justice. Sauf que sa justice passait par les armes.

Penser à lui, fit remonter une douleur sourde dans le cœur de la jeune femme. Elle ferma les yeux et se força à se détendre pour éviter l'épisode qui l'avait abattu quand le bateau avait emmené son « compagnon ». Ici, il n'y avait pas l'océan pour calmer le feu qui pouvait la dévorer. Juste ce volcan souffreteux, dont elle sentait les vibrations. Dont elle sentait les vibrations ?

Camille se redressa brusquement, le visage affolé. Elle regarda de tout côté, s'attendant à voir les frondaisons des arbres se balancer sous les humeurs du volcan, constater des fissures et apercevoir des fumerolles plus nombreuses et inquiétantes. Mais rien.

Toujours assise, les paumes au sol, la jeune femme réalisa que si le promontoire se fissurait, elle ne dévalerait pas quelques mètres en pente douce, mais chuterait dans un précipice vertigineux qui s'achevait sur une plaine caillouteuse et inhospitalière. Même si elle expérimenterait le vol pendant quelques secondes, ce qu'elle n'était même pas sûre d'apprécier de toute façon, ce serait une mort bien désagréable, à coup sûr.

Camille se leva lentement et recula vers la pente et le sentier qui l'avaient menée jusqu'ici. Mais au bout de quelques pas à peine, elle se retrouva environnée de ce brouillard opaque qui n'avait pas inquiété Sola quand elles étaient arrivées. Il s'était déplacé au point de masquer l'autre versant du volcan et la forêt. Camille était piégée. Elle cria de rage, espéra que Sola l'entendrait, regrettant presque qu'Indra ne soit plus sur l'île. Puis abandonna toute pensée cohérente à cause du manque d'air.

Elle tomba à genoux en toussant. Le corps penché vers le sol, elle utilisa son tee-shirt pour se protéger la bouche et le nez. Elle scruta autour d'elle pour tenter de discerner le sentier, quitte à le suivre à quatre pattes s'il le fallait, mais rien n'était à sa portée. Elle était comme dans une bulle de fumée. Isolée du monde extérieur. Elle tenta d'avancer quand même. Et c'est là qu'elle comprit que tout ceci n'avait rien de normal.

Jusqu'à présent, elle avait cru que le volcan se réveillait, n'ayant jamais rien vécu de semblable auparavant, elle n'avait aucune information qui aurait pu lui indiquer le contraire. Mais maintenant qu'elle fixait ses mains posées au sol, elle savait qu'il se passait quelque chose de totalement inexplicable, d'impossible, comme l'existence des Znūntāks, comme le Yāasht, comme la lutte ancestrale à laquelle se consacrait les Séthiens, car la terre semblait vouloir recouvrir ses mains. La terre rampait, ondulait là où elle avait posé ses paumes. Le même phénomène commençait à prendre forme autour de ses jambes.

Camille prit peur, elle tenta de se relever précipitamment et échoua. La terre la retenait prisonnière et continuait à l'engloutir, et plus elle se débattait, plus le processus prenait de la vitesse. Elle fut bientôt à moitié recouverte d'une fine, mais persistante couche de terre. Elle paniquait. Elle hurlait, sachant que bientôt plus aucun son ne pourrait plus sortir de sa bouche. Puis elle l'entendit.

— Cessez de vous débattre, Mlle Dorville. Respirez calmement. Acceptez-là. Elle est encore sauvage, car personne n'a jamais osé la dompter, mais vous, vous pouvez la plier à votre volonté, Camille. Soyez plus forte. Montrez-lui que vous êtes le maître. Son maître.

De notre sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant