— Je vois bien que vous êtes préoccupé par autre chose, Dresden. Alors continuons-nous de parler de cette magnifique Shamshir que vous venez d'acquérir ? Ou préférez-vous me confier vos soucis ? Vous savez que je suis une tombe pour tout ce que l'on me confie.
— Même si vous savez que je ne prie pas le même dieu ?
— Priez-vous seulement un dieu, Dresden ? dit tranquillement père André en souriant
Il avait un regard malicieux et rieur, qui plissait le haut de son visage rond, et lui rendait quelques années que le temps avait emportées avec ses cheveux. Sans sa robe de prêtre, il aurait pu passer pour un commerçant jovial et roublard. On lui aurait donné le bon dieu sans confession...
— Il y a longtemps, oui. Le même que vous... ou presque.
— Ou presque ? Je suis curieux de savoir quel peut bien être ce dieu « presque » comme le mien ?
— Disons que c'est le même, mais que je ne le priais pas de la même manière.
Avant de devenir un Znūntāk, Dresden était né homme à l'aube du XVIIIème siècle. Il avait grandi dans une famille protestante, qui vivait sa foi en secret, pour éviter les persécutions. Éclairé par les lumières des philosophes et des penseurs, mais aussi vaillant soldat, engagé sur des conflits longs et sanglants, Dresden avait grandi avec la nécessité du secret, comme tous les siens. Malgré leurs efforts, au retour d'une campagne, il avait découvert sa famille décimée après une dénonciation. À partir de cet instant, il était devenu un homme à abattre. Il avait fui à Paris chez un ami, dont il était sûr. Il avait changé d'identité.
C'est dans l'effervescence intellectuelle et politique de cette époque qu'il avait rencontré Mathilde de Saint Roc. Femme instruite et très populaire auprès de quelques hommes de lettres parisiens, elle recevait dans son salon et émettait des idées que certains n'auraient pas osé avancer. Elle était brillante et forte. Il avait été immédiatement subjugué. Elle, elle avait reconnu en lui, la même souffrance que la sienne : celle des persécutés. Pour elle, il avait abandonné sa foi, sa vie et avait embrassé l'éternité pour la soutenir et la protéger.
— J'ai été protestant.
— Ah.... Et vous ne l'êtes plus ?
— Non, répondit laconiquement Dresden. Plus, depuis la mort de ma famille.
C'était la première fois que les deux amis abordaient le thème de la religion ensemble. Ils avaient toujours évité ce sujet, comme tous ceux qui auraient pu paraître trop personnels.
— Ainsi vous avez subi les persécutions. Je me suis toujours demandé de quel siècle vous pouviez être ? Cela me donne une petite fourchette. Entre le 16ème et le 18ème siècle, je suppose...
— Pardon ? arriva à lancer Dresden stupéfait, en s'accrochant aux accoudoirs de son fauteuil.
— Vraiment, Dresden ? Vous pensiez que je ne savais pas ce que vous étiez ? Allons, comment aurais-je pu être aveugle à ce point... ayant connu Sœur Délia...
— Pourquoi n'avoir rien dit plus tôt ? Cela fait quoi... Quatre ? Cinq ans que nous nous connaissons ?
— Cinq ans. Cinq années où votre visage et votre vigueur sont restées les mêmes.
— J'aurais pu simplement être un homme qui vieillit bien.
Père André éclata de rire avant de reprendre.
— Un homme qui vieillit bien ?! Sérieusement, mon ami ! Aucun homme ne vieillit aussi bien.
Dresden ne répondit rien. Il observait le prêtre. Il ne sentait aucune menace proche, pourtant, il ne pouvait éviter d'être sur ses gardes.
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De notre sang
RomanceCamille est un être double. Par son prénom et son physique, elle brouille les pistes. Elle cache un lourd secret qui l'a forcée à être ce qu'elle est : indépendante et méfiante à l'excès. Sa rencontre avec un inconnu, aussi énervant qu'inquiétant, l...