6 / Réaction épidermique

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Camille ne possédait pas de grand miroir, juste une petite plaque réfléchissante plaqué sur l'un des murs de la chambre, au-dessus du microscopique lavabo, et ça lui suffisait bien. Elle portait toujours la même chose et ne se préoccupait pas d'accorder des couleurs. C'était, de toute façon, parfaitement inutile puisque ses trois jeans étaient bleus, et tous ses tee-shirt noir ou blanc. La couleur venait parfois de l'un de ses trois hoodies, car si deux étaient noirs, le troisième arborait un beau rouge sombre. C'était d'ailleurs celui qu'elle avait décidé de mettre ce matin même.

Elle ébouriffa ses cheveux courts pour éviter qu'ils ne lui donnent un air trop sage, vérifia sa bouche : pas de miettes coincées, pas de trace de confiture. OK. Tout était good pour elle.

Avec ses vêtements trop larges et sa coupe de cheveux, elle savait qu'elle brouillait encore les pistes. Il aurait fallu soulever son tee-shirt ou lui ôter son pantalon pour découvrir ce qu'elle parvenait à si bien cacher. La surprise aurait été de taille.

Camille était accro aux dessous en dentelle et autres frivolités. C'était son petit secret inavouable. C'était son moyen discret de se sentir fille, ce qu'elle rêvait de pouvoir être, finalement. Mais enfermer dans son jeu ambigu depuis trop longtemps, elle ne savait pas trop comment s'y prendre. Sa tante, lui avait bien suggéré de modifier sa garde-robe et faire pousser ses cheveux dans un premier temps, mais elle n'était pas encore parvenue à s'y résoudre. Passer pour un garçon était tellement pratique.

Enfin, sauf la veille au soir. C'était bien la première fois qu'elle aurait souhaité être plus féminine. Mais hier soir, c'était mauvaise pioche. Pas de quoi en faire un flan. Et vu la tête qu'elle avait en plus, ce soir-là, c'était à se demander si elle ne s'était pas trompée sur les intentions du type. Bref. Elle refusait de s'attarder sur l'image mentale parfaite qu'elle conservait de l'inconnu du restaurant. Bref. Bref. Bref.

Elle fourra sont bloc-notes et sa trousse dans sa besace posée sur son minuscule bureau qui servait aussi de table. Juste avant de fermer sa porte, elle attrapa le livre qu'elle devait finir pour un travail en histoire moderne. Lire à l'heure du déjeuner était une habitude qui lui permettait de s'isoler plus efficacement du reste du monde.

Elle descendit ensuite les deux étages de la résidence universitaire et passa devant la loge du concierge qu'elle salua sans s'attarder. Elle avait quand même du chemin avant d'atteindre la fac, pas le temps de papoter si elle voulait être à l'heure. Elle passa la double porte en bois du bâtiment à l'architecture résolument dix-neuvième, et s'arrêta net avant d'avoir entamé sa descente des larges marches du perron.

L'inconnu du restaurant était là. Encore à fumer une cigarette, adossé à la portière de sa voiture, mal garée le long du trottoir. Il leva la tête vers elle. Pas un mot. Pas de petit sourire non plus. Il était à tomber ! Bordel ! Encore pire que la veille ! C'était possible ça ? La preuve que oui ! La trop courte nuit de Camille avait déjà été peuplée de lui (elle ne voulait pas le reconnaître, mais bon. C'était un fait). De lui et de sang. Rien de vraiment plaisant en réalité. Et maintenant, il était là, et par un simple geste, il l'invitait à monter dans sa voiture. Raaaahhh !

Mais qu'est-ce qu'il avait à vouloir la faire entrer dans cette bagnole ? Qu'est-ce qu'elle avait de si exceptionnel, cette caisse ? Elle était magique ? Elle volait ? Elle avait le pouvoir d'effacer les soucis ? C'était plus probablement son baisodrome personnel ! Pas question de s'asseoir là où d'autres avaient baisser leur pantalon ! Ou alors, pire encore ! Il avait peut-être déjà éliminé quelqu'un là-dedans ! Vu ses activités nocturnes, c'était tout à fait plausible ! Elle était, maintenant, à peu près sûre que du Luminol révélerait le carnage !

Alors qu'elle aurait dû ignorer l'inconnu et passer telle une reine devant un esclave crasseux, elle sentait l'ébullition de son esprit virer à l'incontrôlable. Ce quelque chose qui remuait en elle, bien qu'elle le repoussât avec fermeté, associé à ce beau soleil de fin d'hiver, et à l'impudence de ce type qui ne voulait pas la lâcher, alors qu'il lui était si difficile de résister à son aura, la mirent hors d'elle en quelques secondes. La raison et le pragmatisme habituel de la jeune étudiante vola en éclat et elle n'eut, ni le courage, ni le loisir de s'attarder sur cet élément. Elle dévala les marches telle une furie.

De notre sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant