58 / Les vies de Sola

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Le silence se prolongea entre les deux Znūntāks jusqu'à ce que Sola n'en puisse plus. Elle se leva, prête à repartir.

— Lucie m'a dit de te demander ce que ça faisait d'être seul quand on était un Znūntāk, dit alors Camille les yeux dans le vague.

— C'est lentement dériver vers la folie.

— C'est ce qui t'es arrivé ?

— Peu importe, dit Sola en chassant un souvenir d'un geste.

— C'est trop difficile à raconter ?

— Sans doute autant que ce qui t'es arrivé à toi... dit Sola avant de finir par se rasseoir en soupirant.

Camille n'avait pas raconté grand-chose de sa vie. Quelques bribes ici et là. Des anecdotes plus pour faire rire qu'autre chose. Elle n'avait jamais dit ce qui avait fait basculer son existence dans l'ombre. Le sang qu'elle avait répandu, selon les Dévoreurs, était toujours un mystère pour les Znūntāks. Sola arrivait à comprendre ses silences. Il était difficile parfois de raconter l'indicible. Elle en savait quelque chose. Toutefois, si sa propre expérience pouvait convaincre Camille de ne pas fuir, il fallait qu'elle la partage. Dresden avait été l'un de ses sauveurs. Il méritait qu'elle fasse cet effort pour lui. Alors, elle parla.

— Puisque tu insistes... J'espère que tu en retireras quelque chose... Il faut que tu comprennes que les premiers d'entre nous ont été créés par une déesse. Ils ont été les fils et les filles de Nout. Ils étaient les gardiens de son fils, Osiris, lui-même devenu Znūntāk, après que son frère l'ait tué. Ils formaient un groupe uni et puissant. Jalousé. Tu connais les Dévoreurs, enfin les Séthiens comme ils s'appellent. Leur Ordre est né à cette époque, d'un groupe d'adorateurs de Seth, le frère meurtrier d'Osiris. Ne me demande pas plus de détails, je ne suis pas très férue d'histoire, et je ne fais que répéter ce que m'a, un jour, dit Aren.

— Aren semble être la personne ressource parmi vous.

— Seulement dans notre petit groupe parisien. Il y en a d'autres des comme lui. L'avantage d'Aren est qu'il est lui-même un monument historique.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Il est né ... il y a très, très, très longtemps...

— Longtemps à quel point ?

— Longtemps au point d'avoir vu les grandes civilisations naitre et mourir...

— Oh, je n'arriverai jamais à me faire à cette idée que certains d'entre vous ont plusieurs siècles d'existence...

— D'entre vous ? Tu veux dire « d'entre nous ». Tu es une Znūntāk maintenant. Ne te mets pas à l'écart. Tu fais partie de notre communauté, même si tu as l'impression de ne pas avoir changé. Tu as tort. Crois-moi.

— Je te crois. Donc, les premiers Znūntāks ont été créé par une déesse, répéta Camille sans y croire.

— Rien de moins. Ils n'étaient pas si nombreux, en définitive. Et face au combat qu'ils devaient menés contre les Dévoreurs pour simplement exister, ils ont vite compris qu'ils devaient se multiplier. Mais comment choisir les élus ? Comment ne pas donner l'éternité à un potentiel monstre ? Voilà une question que je n'aurai jamais à me poser, heureusement. Quoi qu'il en soit, ils ont donné naissance à d'autres Znūntāks. Et tu sais maintenant, comment un Znūntāk acquière l'éternité. La raison principale invoquée était de s'allier à d'autres pour vaincre, c'est ce qu'a fait également la Matriarche en son temps, avec plus ou moins d'efficacité. La seconde, pour ne pas voir disparaître l'être aimé, c'est ce qu'a fait Dresden avec toi. Mais il y en a une troisième raison, moins évidente et plus obscure : le pouvoir de le faire, l'envie de jouer à Dieu. C'est comme ça que je suis née.

De notre sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant