De notre sang

82 / Enfin seuls

Ça n'était pas vraiment une cabane au sens propre du terme. On aurait pu dire plutôt une maison en rondin. Un chalet de montagne sans montagne, mais au milieu des bois. Le confort y était rudimentaire, mais il y avait une table avec ses chaises, une cuisine équipée, un canapé, deux fauteuils, et surtout, un lit.

Évidemment, dès que Dresden fut entré, il posa la caisse de nourriture qu'il tenait sur la table, pour se précipiter sur le lit, afin d'en tester la souplesse. Question de priorité. Camille préféra se concentrer sur le rangement de ce qu'elle portait elle-même. Tane et un double de lui-même, lui apportèrent le reste des affaires qu'ils avaient amenées jusqu'ici en voiture. Puis ils s'éclipsèrent avec un rien de malice dans les yeux.

Tandis que le bruit du moteur s'éloignait d'eux, Camille et Dresden se tournèrent l'un vers l'autre. La jeune femme savait ce qu'attendait son Kachnefer, mais elle n'arrivait pas à se détendre. Elle n'arrivait pas à chasser l'angoisse qui lui étreignait le cœur en imaginant cette immensité de solitude qui les environnait.

Dresden voyait le visage crispé de Camille et sentait sa détresse dans son propre cœur. Il se releva et s'approcha d'elle avec un petit sourire. Il savait pourquoi elle réagissait comme ça. Il mesurait le choc qu'avait dû être son entrée dans ce monde fait de combats et de sang. Elle devait s'accommoder de tant de choses étrangères à tout ce qu'elle avait été jusque-là. Sans compter que tout était arrivé assez vite.

Dresden s'arrêta devant elle. Camille avait détourné les yeux pour fixer son regard sur la forêt que l'on apercevait depuis la baie qui donnait sur une petite terrasse extérieure. Il l'obligea à le regarder, lui, en lui prenant le menton.

— Hé ! Je ne vais pas te sauter dessus comme une bête sauvage...

— Je sais.

— Alors ne fais pas cette tête. Tout va bien se passer ici. Il ne nous arrivera rien.

— Tu ne peux pas être sûr.

— Et quand bien même, nous serions attaqués, Camille... Je n'imagine même pas ce que nous serions capables de faire tous les deux, ensemble.

— Rien. Je ne maîtrise rien, moi ! Je peux aussi t'engloutir comme l'ennemi ! Je pourrais te faire du mal aussi !

— J'en doute. L'envie ne t'a jamais manqué de me faire du mal... et tu ne l'as pas fait. Nous deux, Camille, c'est plus fort que ça, finit-il en l'enfermant dans ses bras.

Il la sentit se détendre presque immédiatement. Il avait ce pouvoir sur elle. Comme celui de l'énerver prodigieusement, parfois. Mais ça c'était parce qu'elle éprouvait ses sentiments de manière pleine et entière. Elle ne savait pas nuancer. Camille était faite de luttes et de renoncements : à la douceur, à l'amitié, à l'amour. Elle avait besoin d'être apprivoisée. Elle avait besoin de sentir qu'elle ne serait plus jamais seule à affronter la vie, quels que soient les obstacles et les dangers que l'on mettrait en travers de sa route. Et que ça lui serait bénéfique. Qu'elle ne perdrait pas sa liberté à aimer de toute son âme. Il fallait qu'elle croit au bonheur d'une existence à ses côtés. Lui n'en doutait pas.

Il la souleva comme une jeune mariée et la déposa délicatement sur le lit. Il s'étonna lui-même de ne pas avoir à museler son désir lorsqu'il se contenta de la prendre dans ses bras et de l'enlacer. Et puis, il murmura contra sa tempe.

— Je sais que tu doutes, Camille. Que tout ça est trop inédit pour que tu sois sûre de toi. Que tu as peur. Moi aussi. Et c'est très nouveau pour moi. Je n'ai jamais eu peur. Pas au point de trembler comme je le fais quand tu es loin de moi à faire des choses qui te mettent en danger. Tu as dompté la bête en moi. Tu l'as mise au pas de ta propre violence. Je ne te promets pas une vie paisible, faite de petites habitudes confinant à l'ennui de l'autre. Je te promets d'être là quand tu en auras besoin. Tu seras libre et moi aussi, mais libre à deux.