47 / Affrontement

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Camille n'avait plus rien dit après la remarque de Mathilde. Elle aussi jaugeait la Matriarche. Elle devina sous son sourire, une force dont il ne fallait pas douter, et une efficacité qu'il fallait craindre. Son analyse terminée, ses yeux passèrent sur ceux qui accompagnaient Mathilde.

Dresden se tenait en retrait. La jeune femme comprenait pourquoi il l'avait quittée précipitamment sur la plage. Il devait accueillir cette femme. Un gentil toutou, donc. Et puis, il y avait un autre homme, typé oriental, ses yeux noirs disaient que le malheur s'était abattu sur lui un jour et qu'il lui avait arraché quelque chose de précieux. Il paraissait avoir la quarantaine.

Derrière lui, un grand type baraqué aux cheveux d'or et au sourire franc qui la regardait de ses yeux gris, se dressait fièrement, un peu trop serré dans son costume. Elle lui donnait la trentaine. À ses côtés, une femme en sari à la longue chevelure noire et au teint doré, semblait incarner la douceur.

Camille réalisa que, si on lui avait réellement dit la vérité ou si elle acceptait de croire ce qu'on lui avait dit, toutes ces personnes, quel que soit l'âge qu'elles paraissaient avoir, étaient nées à des époques différentes, et pour certaines, avaient traversés les siècles. C'était vertigineux. Elle sentit tout le poids de son ignorance et se crispa. Pour eux, elle n'était qu'un fétu de paille. Une ondée passagère.

— En voilà une image poétique venant d'un esprit aussi réfractaire à la vérité, dit alors la femme en sari, avec un demi-sourire.

Tétanisée à l'idée que quelqu'un puisse entrer dans sa tête, Camille se figea. Elle sentait un souffle en elle. À peine un effleurement. Elle détesta ça, et tenta de ne plus penser à rien.

— Et ça, c'est stupide, Mlle Dorville. Je ne lis pas vraiment dans vos pensées. Je vois certaines choses qui émanent de vous. Et seulement si j'en ai envie.

— Et vous en avez envie, là ?

— Et bien, disons que je suis curieuse. Nous le sommes tous. Une nouvelle Kachnefer est toujours un événement parmi nous. C'est si rare.

— Indra, gronda Dresden en faisant un pas vers elle.

— Je sais, Dres. Je sais. Elle n'est pas encore ta compagne... mais... commença Indra, qui s'arrêta en voyant les poings de Camille se serrer à en blanchir les jointures.

Elle leva un sourcil d'étonnement, puis sourit. Indra n'avait pas le même genre de retenue que la Matriarche. Elle était une exécutrice, habituée à donner la mort et à faire souffrir. Sans compter qu'elle n'était pas non plus la douceur qu'elle semblait pourtant incarner avec son air affable et son sourire avenant.

— Voilà qui est encore plus intéressant, poursuivit-elle en s'avançant encore. Tu crois vraiment que tu pourrais parvenir à me battre, à me chasser de ton esprit ? Je peux, si je le veux, te faire voir ce qui n'existe que dans ton imagination. Je peux trouver ce qui t'effraye le plus et le rendre si réaliste que tu pourrais en mourir de peur...

La voix d'Indra avait changé, empruntant aux tonalités graves qui dénotaient chez elle d'une menace évidente. Dresden s'interposa en une fraction de seconde. Sola n'était pas loin, elle aussi, prête à se battre. Camille fixa leurs dos avec étonnement.

Est-ce que cette Indra avait seulement réellement songé à se battre contre elle parce qu'elle n'avait pas aimé qu'elle s'introduise dans ses pensées ? Et est-ce que ces deux idiots s'étaient interposés pour la protéger, elle ?

Camille trouva ça amusant autant qu'étonnant. Depuis la mort de ses parents, jamais personne n'avait pris sa défense. Jamais personne n'avait même songé à la protéger. Personne n'avait jamais été prêt à prendre des coups pour elle. Elle n'avait pas encore de gratitude pour ces deux-là, mais apprécia leur geste en silence.

De notre sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant