Mathilde regardait avec une certaine nostalgie le paysage qui défilait sous les ailes de l'avion. Elle n'avait pas remis les pieds en Égypte depuis la mort de Jawhar. Des siècles d'éloignement pour ne pas être tentée de revoir le tombeau, la source. Des siècles à essayer d'oublier la déchirure de son âme qu'aucun amant n'avait jamais pu combler. Ce pays était définitivement lié à la perte irrémédiable qu'elle y avait subie, et dont elle portait le fardeau depuis. Il était l'incarnation de son bonheur passé.
Jusqu'à il y a quelques temps, elle n'aurait jamais cru revenir ici, et certainement pas dans de telles circonstances. Mais aujourd'hui, le déchaînement des Dévoreurs ne lui laissait pas le choix. La trahison d'Indra encore moins. Il fallait que Mathilde s'assure que la source était toujours cachée, que l'ennemi ne l'avait pas souillée de ses noirs desseins.
Elle le devait non seulement parce que c'était son rôle dans la communauté en tant que Matriarche, mais aussi parce qu'elle n'aurait pas supporté de savoir qu'elle avait échoué à accomplir la mission que Jawhar lui avait donné dans un dernier souffle. Car si sa place à ses côtés, avait fait d'elle son héritière directe, et donc, à sa mort, le nouveau guide de leur communauté, sa volonté et son amour pour elle, en avait fait la gardienne du temple.
Elle était donc la Matriarche. Elle était celle qui détenait le secret et menait, dans l'ombre, ses frères et sœurs dans leur combat pour survivre, pour prospérer aussi parfois. Or, parce qu'elle n'avait pas été attentive aux signaux, parce qu'elle avait manqué de clairvoyance, aveuglée par une routine que le temps lui avait imposée, non seulement certains des siens avaient péri, mais le temple était menacé. Elle était donc aussi celle qui avait été trahie.
Trahie, elle l'avait déjà été, bien sûr. Ceux qui avaient voulu prendre sa place n'avaient pas manqué au cours des siècles passés. Toujours des hommes. Plus impétueux ou plus volontaires. Bien trop souvent imprudents et irréfléchis. Ils avaient tous péris. Et pas nécessairement de sa main. Parfois les Dévoreurs avaient su les trouver avant qu'elle n'agisse. Toutefois, si chacun d'entre eux avait voulu prendre sa place, aucun n'avait été jusqu'à s'allier à l'ennemi ancestral.
Indra avait été bien plus loin que n'importe lequel d'entre eux. Elle avait été sournoise et persuasive. Elle avait fondé des alliances contre nature. Elle avait eu l'ambition de mater les siens et d'asservir ses ennemis. Mathilde aurait dû savoir. Mathilde aurait dû se méfier. Il y avait eu peu de télépathes parmi les Znūntāks, et à chaque fois des drames étaient survenus. La Matriarche avait été présomptueuse de penser qu'elle saurait garder sous sa coupe une telle puissance, qu'elle saurait maintenir l'équilibre. Après un tel échec, comment pouvait-elle penser pouvoir continuer à mener sa mission à bien ?
Même si ses exécuteurs lui avaient renouvelé leur fidélité et leur confiance, elle avait du mal à ne pas avoir honte d'elle-même, face à eux. Elle songeait à laisser sa place en tant que Matriarche. Elle ne serait plus que la gardienne du temple. Plusieurs des siens seraient à même de reprendre son fardeau, dont Aren avec qui elle avait été si injuste ces dernières semaines. Elle savait qu'à la tête de leur communauté, il serait capable du meilleur, même si lui, doutait de sa capacité à résister au pire.
Et puis, il y avait cette idée qui avait germé dans son esprit depuis leur départ d'Indonésie. Cette idée étrange qui avait éclos dans le fiel lancé par Indra. Tout au long de ses siècles, Mathilde avait été celle qui impose le secret, pensant ainsi préserver les siens du pire. Mais aujourd'hui, elle se demandait si, finalement, elle n'avait pas fait une erreur. Si elle et Jawhar n'avaient pas fait une erreur depuis le début.
Que serait-il advenu si elle avait réussi à convaincre son Kachnefer, lors de leur rencontre, de la nécessité de prendre part aux luttes de l'humanité ? Que se serait-il passé s'ils avaient abandonné le secret, contraignant ainsi les Dévoreurs à se dévoiler eux-mêmes ? Que se serait-il passé s'ils avaient mis un pied dans la marche de l'histoire ? Il y aurait eu de la peur, sans aucun doute, et de nombreuses luttes également. Mais peut-être pas autant que celles que le secret leur avait imposées.
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De notre sang
RomanceCamille est un être double. Par son prénom et son physique, elle brouille les pistes. Elle cache un lourd secret qui l'a forcée à être ce qu'elle est : indépendante et méfiante à l'excès. Sa rencontre avec un inconnu, aussi énervant qu'inquiétant, l...