57 / Endurer

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Debout sur le ponton, Sola fixait le bateau qui s'éloignait. Elle jeta un regard en biais à Camille assise, les pieds dans l'eau, pour voir dans quel état d'esprit elle se trouvait. Rester toutes les deux, toutes seules, n'allait pas être de tout repos, elle le sentait. Dresden avait raison de penser que la jeune femme chercherait à fuir aussi vite que possible. Sola le voyait sur son visage. Et cette détermination ne manquerait pas de provoquer des situations désagréables. Sauf si elle lui trouvait suffisamment d'occupation pour qu'elle n'ait pas le temps de fomenter des plans d'évasion machiavéliques. Elle remarqua alors que Camille triturait quelque chose autour de son cou.

— C'est quoi ce médaillon ? demanda Sola, intriguée, car elle n'avait encore jamais vue la jeune femme porter un bijou.

— C'est Dresden qui me l'a offert.

Sola n'eut besoin que d'effleurer le bijou pour sentir l'énergie qui s'en dégageait.

— Joli cadeau, dit Sola en pensant « petit fûté ». Bon, on ne va pas rester là, à fixer l'horizon. Ça te dirait de faire de la plongée ?

— De la plongée ? Tu veux dire avec du matos ?

— Ben, oui... Je vais pas te demander d'explorer les fonds marin en apnée. Aux dernières nouvelles, t'es pas une sirène...

— Tu n'as pas peur que te laisse au milieu de l'océan et que je me tire avec le bateau ? ironisa Camille.

— Tu as raison, ça m'emmerderait de servir de pâture aux requins. Ne tentons pas le diable... Je te propose une randonnée vers le volcan. C'est vraiment super là-bas. Tu vas adorer.

— Tu veux m'offrir en sacrifice à la montagne ?

— Certainement pas ! Avec ton sale caractère, ça risquerait de provoquer un cataclysme qui engloutirait l'île.

— Ce serait fâcheux, dit Camille en se relevant.

— Ce serait fâcheux, en effet, répéta Sola, qui se tournant vers la jeune femme en souriant, déchanta aussitôt en découvrant la crispation de son visage pâle. Il y a un problème ? demanda-t-elle aussitôt.

Camille se tenait à l'une des rambardes du ponton. La pression sur ses côtes avait augmenté petit à petit jusqu'à devenir quasi insupportable lorsqu'elle s'était levée. Et puis, elle avait chaud. Très chaud. Inconsciemment, elle tenta d'enlever ses vêtements en s'adossant à la rambarde. Elle brûlait de l'intérieur. Un feu ardent, affamé. Elle rageait, convaincue que c'était à cause de la Matriarche, qui devait bien se marrer sur le bateau.

Camille avait besoin de fraîcheur. Camille avait besoin de noyer son chagrin aussi, car en plus de la douleur qu'elle pensait être l'œuvre de Mathilde, la jeune femme sentait pour la première fois l'éloignement de Dresden comme une déchirure intense, comme si le lien invisible entre eux avait compris que cette séparation était définitive et qu'il refusait d'abdiquer. Elle hurla, avant de se laisser tomber dans l'océan.

Sola avait sauté à la suite de Camille, en jurant. Elle portait justement son tee-shirt préféré ce matin. Maintenant, il était foutu. Et ses sandales en cuir aussi.

— T'es vraiment un boulet, Camille ! s'exclama-t-elle en tirant une dernière fois sa compagne sur le sable pour qu'elle soit complètement hors de l'eau.

— Parce que tu crois que ça m'amuse de me foutre à la baille parce que j'ai l'impression d'être en feu ? dit la jeune femme qui n'osait pas bouger de peur de réveiller une douleur, pour le moment, muette.

— C'est le Yāasht.

— C'est la Matriarche.

— Tu n'aurais pas dû accepter de le laisser partir.

De notre sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant