De notre sang

73 / L'ombre du démon

— Tu lui a vraiment sauvé les miches ? demanda Sola en s'asseyant près de Camille adossé à la cabine du bateau.

Imelda les avait récupérés sur le chemin de la Malaisie et les emmenait maintenant encore plus au sud vers l'Indonésie. Vers l'un de ses refuges personnels. Un endroit dont Indra n'avait jamais entendu parler, et que les Dévoreurs ne pouvaient pas connaître.

Camille sourit. Personne n'était venu lui parler depuis qu'ils avaient quitté les eaux de Singapour. Pas même Dresden. Tous les Znūntāks étaient occupés à aider la Matriarche à avertir les leurs de la trahison d'Indra. Certaines communautés avaient déjà été attaquées.

— Oui.

— Raconte. J'ai besoin de détails pour le chambrer, à l'occasion.

— Tu vas le chambrer ? Toi ? Je croyais que vous étiez liés par un truc...

— Son démon-gardien.

— Son quoi ?

— Si tu avais enfin couché avec lui, tu saurais, dit Sola en relevant sa manche gauche.

Sur la peau de son bras, un tatouage se mouvait avec délicatesse. L'ombre d'un oiseau voguait paisiblement entre des nuages stylisés.

— Comment...

— Laisse tomber... juste, sache qu'il a le même, mais en beaucoup plus grand et en beaucoup plus détaillé. Moi, je n'ai qu'une ombre.

— C'est pour ça que les Dévoreurs ont dit que tu étais une ombre ?

— Pas exactement. Ils ignorent les tatouages. Seuls les Znūntāks peuvent les voir en mouvement. Je suis une ombre parce que je m'occupe de certaines missions, notamment pister et trouver des cibles. Je me fonds dans les ombres. Tu vois le genre. Les Dévoreurs sont des poètes.

— Et ce démon-gardien, il l'a eu comment ?

— Tu n'as rien, toi ?

— Ben non. En même temps, tu es celle qui l'aurait le plus remarqué... vu que t'as joué à la poupée avec moi, lâcha Camille en observant ses bras.

Elle portait une veste trop grande, trouvée dans un coffre du bateau. Sa robe n'avait plus la blancheur immaculée initiale. Maintenant couverte de sang, de terre et d'autres traces suspectes, elle n'aurait même pas convenu à un rat pour faire son nid. Elle allongea les jambes et dévoila ses pieds nus, blessés et sales.

— T'es dans un drôle d'état, dit Sola qui elle-même n'était au meilleur de sa classe habituelle.

— Parle pour toi... Et ne change pas de sujet.

— Qu'est-ce que tu veux que je te dise. J'ai toujours rêvé d'avoir une de ces poupées machin. Sauf que j'étais trop vieille, hein ?!

— De quelques siècles seulement.

Sola éclata de rire.

— Donc pas de tatouage cool d'aigle... reprit Camille.

— Pas vu, en tout cas. Mais chaque Znūntāk qui a un don possède un démon-gardien différent. Et puis, ça n'est pas un aigle, mais un faucon, celui de Dres.

— Un faucon... beaucoup moins cool, alors... dit Camille.

Le tatouage de Sola virevolta vers elle et agita furieusement ses ailes.

— Je crois que tu l'as vexé.

— Il peut comprendre ? Je veux dire, il est... Comment tu sais ?

— Ouaip, il peut comprendre. Et il parle à mon esprit.