65 - même si on se ment, on sait tout (2)

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Musique en média**

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Musique en média
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Mes os valsent au rythme des percussions effrénées de la terre sous mes pieds. J'ai l'impression que c'est elle qui m'écrase. Plus j'avance, plus le dédale s'éternise.

J'y suis presque.

Je passe le portillon en laissant jaillir une vocalise souffreteuse qui sonne faux : jamais je n'aurai aussi mal qu'elle. La douleur abrutissante est mon péché, j'ai beau essayer de lui prouver qu'on souffre à deux, ce n'est jamais assez, parce que, comme elle, j'ai besoin de frôler la mort pour comprendre comme ça lui pourrit la vie d'avoir été souillée. Je ne me contenterai jamais de ces hématomes qui m'ornent comme si j'étais le réceptacle de médailles bleues. Il faut quelque chose de bien plus sanguinaire et pénétrant. Que ça demeure sur moi.

En moi.

Ma mère passe l'entrée lorsque je m'engage dans l'allée terreuse et clairsemée par un seul réverbère défaillant.

Mamá ! tenté-je pitoyablement. Attend !

Faut pas qu'elle voit ça.

Mon son s'efface comme s'il n'avait jamais existé. La terre continue à me marteler. Des coups qui menacent de finalement me faire tomber dans le monde a l'envers de l'horreur. Je boite péniblement, me perche à la clôture en gémissant, tente un hurlement bancal plus assourdissant ; rien à faire.

Elle a passé la porte.

Je crie, crie encore, à la douleur, au désespoir. De plusieurs façons. Une fois son nom, une fois notre lien, une fois son rôle, une fois son amour. Mamá ! Tant d'essence dans ce substrat qui n'est qu'une succession de lettres chantantes. Le sang pleure sur mon corps bandé, endolori. Ma moelle est un support sur lequel je peine à m'appuyer, tant il semble peu à peu se rompre et s'effilocher, comme mon âme et son suc atrophié.

Tout se brise dans un cataclysme. Les cieux pleurent plus fort. Le ciel est rouge sang, béant, ouverture sanguinolente, réflexion de l'informe vie dans laquelle je baigne. Ça pue et c'est méchant. Sadique et crucifiant.

Je suis mis en terre avant l'heure.

Et puis soudain... son hurlement jaillit comme une alarme qui déchire ma réalité, la courbe évasive d'un monde qui n'a aucun sens. Ça me hérisse les poils et me fout les jetons. Effroyable. Cru. Presque dément.

Dulce est morte.

Je me traîne comme un vieux débris aux muscles atrophiés à notre parcelle. Le monde m'engloutit dans sa toile de ténèbres. Plus rien ne sera jamais comme avant. Je pousse la clôture, tais le chien du plat de la main en me retenant d'abdiquer au torrent de larmes qui me monte à la gorge et y patiente, comme un flot barré n'attendant que la goutte de plus pour tout exploser.

Mon âme clignote.

Quelque chose n'est pas réel dans la succession enivrante des situations. Comme si j'étais extérieur à ma chair. Ma vue est comme une caméra qu'une main tremblante tient de toutes ses forces. Ça me dit quelque-chose, et rien à la fois. Comme si je n'avais jamais vu ces murs, ni ces photos décoratives, ces cadres de bois effilochés, ce vieux tapis auburn qui traîne là depuis des lustres et qu'on aurait dû mettre à la machine des milliers de fois, et comme si, à contrario, tout cela se révèle être un élément fondamental de ma constitution. La bâtisse qui m'a vu naître et grandir.

UNDER THE SPELL 🥀 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant