3 : Un air de liberté.

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Lucile toque un coup sur la vieille porte en bois qu'elle s'ouvre instantanément. Carole apparaît dans un informe peignoir mauve qu'elle remonte jusqu'en haut de son cou, tout en observant sa meilleure amie, un mugs de chocolat chaud dans la main droite et avec une sale tête mal réveillée.

— Tu es matinale pour un samedi matin, baille Carole.

— Il est onze heures et demie Caro ! rétorque Lucile, en échappant en sourire amusé. De toute façon, je ne peux pas trop me retarder, je vais manger chez mes parents aujourd'hui.

— L'habituel déjeuner de fin de semaine en famille, raille la jeune femme avant de boire une gorgée de son chocolat qui se refroidit avec l'air frais de l'extérieur.

— Du coup, pour tes ateliers, compte sur moi. Tu as mon emploi du temps, mais privilégie les mercredis après-midi, parce que c'est sûr que je serais libre !

— Ok, je t'enverrais un sms dans la semaine, mais t'inquiète, je m'arrangerai selon tes horaires. Allez, file, connaissant tes parents, et la route pour aller jusqu'à ton trou paumé de campagne, mieux vaut que tu partes maintenant.

Lucile rigole de bon train, avant de coller une bise sur la joue de son amie, et descendre les quelques marches de pierres qui amènent jusqu'au perron, rejoignant sa petite voiture blanche. Carole est une grosse adepte des grasses matinées et elle le sait. Au lycée, quand elles étaient à l'internat ensemble, Lucile se souvient de la dure tâche qu'elle avait de réveiller son amie le matin avant d'aller en cours.





Après une quarantaine de minutes à quitter la petite ville tranquille pour rejoindre la campagne un peu triste en ce mois de novembre, afin d'atterrir dans une zone complètement rurale ; divisée en quelques forêts de part et d'autre, ainsi que de longs prés clôturés aux minces brins d'herbes, la jeune femme sourit : elle connaît l'endroit par cœur.

Lucile regarde toujours avec le même émerveillement les champs alentours, où des chevaux broutent gentiment. Elle les reconnaît de suite. Nomade, Emma, Kheops, et plein d'autres. Elle s'engage dans une petite allée de terre jaune et parsemée de trous, sous le regard intrigué de plusieurs équidés.

Elle se gare enfin sur un parking de gravier, et descend en observant la grande bâtisse ancienne, recouverte de lierre dès le printemps, mais qui, en automne, laisse apparaître les pierres qui la composent.

Un chien grand sur pattes l'accueille joyeusement, sous les regards de quelques chevaux des écuries un peu plus loin, ceux qui ne peuvent, pour diverses raisons, sortir au pré en ce frais matin de novembre.


La porte de la maison familiale s'ouvre, laissant apparaître deux gamins de cinq ans, une petite fille et son frère, aux espiègles traits identiques.

— Tatie Lucile ! crie le jeune garçonnet.

Lucile sourit attendrie et colle un bisou aux deux enfants, qui courent ensuite auprès de leur mère, une grande femme brune, l'aînée de Lucile, qui lui ressemble énormément. Sa silhouette mince s'avance près de sa sœur et l'embrasse joyeusement.

— Je suis trop contente de te voir Lulu ! Ta semaine s'est bien passée ?

— Oui, même si les gosses sont énervés... Enfin, c'est mieux de venir se ressourcer ici. Papa et maman vont bien ?

— Très bien ! Maman finit de préparer le gratin dauphinois en cuisine. Papa s'occupait de Rémy et Cassie. Comme s'il ne voyait pas ses petits-enfants tous les jours...

Les deux sœurs rigolent ensemble de bon train en entrant dans l'imposante bâtisse, celle où les parents de Lucile ont toujours vécu, et ses grand-parents juste avant. Le centre équestre est une affaire de famille et Lucile a toujours baigné dedans depuis qu'elle était gosse. D'ailleurs ses parents ont été déconcertés sur le coup en apprenant que leur cadette ne souhaitait pas, après le lycée, se consacrer à une carrière de cavalière professionnelle ou du moins donner des cours dans l'affaire familiale.

Mais bon, sa sœur, Solène Derosan, avait déjà fait part quelques années plus tôt qu'elle continuerait l'affaire avec ses parents. De quoi réjouir Lucile, et surtout la rassurer. Au fond d'elle, elle aurait été déçue de laisser ce centre équestre fermer à la retraite de ses parents. Après tout, ses grand-parents avaient déjà tant donné à ce lieu, et le grand-père de Lucile y donnait encore un peu de son temps, à son petit rythme tranquille de la retraite.

Mais Lucile le sait au fond d'elle : même si elle a voulu faire autre chose de sa vie, sa passion pour l'apprentissage, mais surtout pour le monde équin, reprendrait un jour le dessus. Et qu'elle finirait sans doute, dans plusieurs années, à travailler ici à son tour.


La jeune femme suit sa sœur dans le salon, où le grand-père feuillette un magazine d'équitation. Son fils s'amuse avec ses petits-enfants, transportant Rémy sur son dos comme s'il faisait du cheval, le garçonnet riant en essayant de toucher les poutres apparentes du plafond, et sa jeune sœur à ses trousses crie en demandant son tour.

— Comme si tu n'avais pas déjà assez mal au dos papa, soupire Solène en jetant un coup d'œil complice à sa sœur.

Et dire que leur père avait râlé qu'il prenait un coup de vieux en devenant papy, il semblait désormais en profiter. À vrai dire, Solène avait eu ses enfants très tôt, à vingt et un ans exactement. Lucile s'en souvient parce que son père était venu la chercher complètement paniqué dans son lycée, débarquant à même dans une salle de classe pour empoigner sa fille par le bras et lui dire de se dépêcher, sa sœur étant en train d'accoucher de ses jumeaux.

Malheureusement, le compagnon de Solène s'était séparé d'elle deux ans plus tard, et désormais la jeune femme s'occupe pleinement de ses enfants, aidée de toute sa famille.

Quotidiennement, il y a exactement six personnes qui vivent dans la grande maison familiale. Et même si cette dernière a largement la place d'accueillir tout ce petit monde, et qu'il reste des chambres de libres, dont celle de Lucile, la jeune professeure est contente d'avoir son petit appartement en ville, rien que pour profiter du calme, qui normalement devrait plutôt résider à la campagne.

— Ma chérie, tu es radieuse ! s'exclame une femme en rentrant dans le salon, et frottant ses mains contre son tablier. Tu vas bien ? Tu as fait bonne route ?

— Merci maman. Oui très bonne route, ce n'est qu'une vingtaine de kilomètres.


— On pourra aller se promener cet après-midi, hein sœurette ? propose Solène. Mousquetaire sera content de te voir en plus !

Lucile sourit en pensant à son cheval. C'est vrai que le bel étalon noir lui manque, et c'est toujours un plaisir de le retrouver ici. La jeune femme aime tellement les chevaux qu'elle essaie de venir le plus souvent à la maison familiale, pendant les week-ends et ses vacances scolaires.

— Carole va bien ? demande Madame Derosan en faisant signe à tout le monde de venir manger.

— Oui très bien. Enfin, je suis allée la voir ce matin, elle était encore à moitié endormie. Tu sais quelle idée elle a encore eu ? Elle veut aller faire des ateliers dans la prison, celle de la ville voisine.

— Ah bon ? C'est bien une idée de Caro ça ! s'exclame la femme après avoir haussé les sourcils. Donne ton assiette que je te serve la soupe.

— Elle m'a demandé de l'aide, je n'ai pas pu refuser, reprend Lucile. Elle est tellement débordée. Enfin, je ne pense pas que cela me prenne trop de temps, cela doit être un dépôt de livres, c'est tout. Je suppose.

— Oui, ça doit être ça, continue la femme en ayant fini de servir tout le monde. J'espère du moins. Tu imagines sinon, ma fille au milieu de violeurs, voleurs et meurtriers ? Enfin, Caro t'en sera reconnaissante. Mais quelles drôles d'idées elle a des fois...

— Bon appétit ! coupe son mari, commençant déjà à avaler du potage réchauffant de légumes.

Lucile sourit. Qu'est-ce qu'elle aime être ici, avec sa famille. C'est le bol d'air frais qui lui est nécessaire.

IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant