30 : Un monstre pour détruire un monstre.

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Marco, assis sur un banc, abîme ses poumons en fumant une énième cigarette. Il surveille du coin de l'œil tous les autres prisonniers qui se promènent dans la cour, formant des petits clans pour discuter, même échanger des objets à l'abri de l'administration. Il pourrait presque remplacer les surveillants, car Marco connaît la prison et ses personnalités comme sa poche, et même si le grand bourru ne laisse rien paraître avec son attitude toujours détachée, il est toujours au courant de tous, avant tout le monde.

Il tourne la tête vers un des rares hommes avec qui il a sympathisé ici. Ce n'est pas que Marco n'aime pas les gens, mais il ne voit pas l'utilité de rester avec certaines personnes qui ne semble avoir qu'un don sur terre : emmerder les autres.

Heureusement, cela n'est pas trop le cas d'Icare. Oui, des fois Marco rêve de lui mettre une droite quand le jeune homme insolent lui lance une remarque sarcastique ou une boule de neige en pleine face, mais sinon, il apprécie le détenu. Certes, il a facilement une trentaine d'années de moins que lui, Icare n'en reste pas moins un des amis sur qui il compte le plus en prison.


Il l'avait vu au premier jour du détenu. Ce serait un gars sûr. Une gueule d'ange, c'est ce qu'il avait pensé tout d'abord. Une gueule d'ange, un corps de démon, tombé dans les enfers. Un gamin de vingt-et-un ans qui arrive dans un centre de détention pour un crime, cela ne court pas les rues. Les rumeurs avaient vite fait le tour. Certains disaient qu'il avait déjà fait de la prison pour mineurs. Marco était impressionné, l'histoire de ce gamin ne pouvait que l'intriguer. Et entre deux murmures, résonnait un prénom : Icare. Marco se souvient avoir rigolé le jour où il avait entendu ce nom : c'était original. Beau, mais énigmatique.

Il était allé lui parler un jour suivant de promenade, en l'approchant avec ses manières brutes habituelles. Il avait pu détailler le physique du jeune homme de plus près. Une musculature développée pour un jeune garçon, de mystérieux bras tatoués qui en devenaient une œuvre d'art, une beauté saisissante tranchée par un regard foudroyant. Il retient toujours ses pupilles, l'air dont il dévisageait les gens. Marco voyait toute la haine du monde dans le regard du gamin.

Et au cours d'un bref échange tendu, Icare ne s'était pas laissé impressionner. Un meurtrier, voilà ce qu'il était. Un vengeur. Icare était bel et bien un mythe, une sombre histoire après avoir admiré le soleil.

—     Hé, tu penses à quoi ? demande Marco à son codétenu.

—     La liberté, répond seulement Icare, toujours autant pensif.

—     Putain, il y a quelques années, on n'osait même pas y penser... Dis, tu m'enverras des lettres quand tu seras libre ? Je veux savoir ce que tu deviens.

Icare tourne sa tête vers son ami, un sourire insolent aux lèvres que Marco déteste bien.

—     Quoi ? Un problème ? demande-t-il de sa voix bourrue.

—     Tu ne reçois jamais de courrier et tu n'as jamais demandé à personne de t'en envoyer, répond Icare.

Une boule se forme dans la gorge de Marco. Ouais, aucune lettre. Un homme abandonné par sa famille. Sa femme était morte, il ne s'en remettait pas vraiment. Une femme si formidable, si forte, qui s'était battue chaque jour contre son cancer... Cette saloperie de maladie avait gagné. Et ses deux enfants ? Putain, ils ne voulaient plus entendre parler de leur père, un ancien alcolo qui avait fauché deux gamins sur la route. Leur père était une ordure. Marco n'a jamais reçu la moindre lettre de personne.

—     Mais t'inquiète, je le ferais, reprend Icare.

—     Oublie, c'était con, marmonne Marco.

IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant