11 : Se détruire.

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Icare se lève difficilement. Il n'a pas dormi de la nuit. Il a remué dans ses couvertures pendant des heures, en revoyant Jauris s'approcher de lui pour l'embrasser. Le jeune homme grimace à cette pensée. Putain, ce gardien a un problème quand même ! D'où il n'arrête pas de le faire chier ainsi ? Pourquoi s'il ne le traite pas comme un vulgaire animal il se sent obligé de le voir comme l'objet de tous ces désirs cachés ?

Il descend de son lit et dérape au dernier barreau, se rattrapant de justesse sur la table.

—     Putain de merde ! explose le jeune homme en lançant rageusement les couverts du petit-déjeuner à l'autre bout de la cellule.

Simon, déjà réveillé et accoudé sur la table, le regarde avec effroi, et en même temps surpris par toute la mauvaise humeur matinale de son codétenu. Mais quand il voit la mine fatiguée de ce dernier, il comprend qu'il n'a pas trop intérêt à le faire chier.

Icare ne prend pas la peine de ramasser les objets au sol. Il empoigne rapidement des vêtements propres et s'éloigne vers le petit lavabo de la cellule pour se faire un brin de toilette avant de s'habiller. Simon ne le quitte pas des yeux, comme réalisant difficilement que son ami est dans ses mauvais jours. Il voit que cela fait un certain temps déjà, mais il ne peut rien dire. Qui l'écouterait ? L'administration pénitentiaire s'en fout qu'un détenu soit proche de péter un boulon. Pour eux, Icare n'est qu'un taulard. À la limite un jeune taulard, mais pas plus. Ils ne voient pas l'homme détruit. Rares sont ceux qui le voient.





Icare n'a pas mangé, malgré les protestations de Simon. Il a arrêté de s'en plaindre quand il a compris que le déjeuner de son ami lui reviendrait, parce que merde, il ne fallait pas faire de gâchis.

Du coup, la matinée de travail a été encore plus longue, car en plus du manque d'entrain à faire des gestes répétitifs, Icare a faim. Il ne peut s'en prendre qu'à lui-même, mais le jeune homme réalise difficilement ce qu'il lui arrive. Ses élans d'impulsivité et d'agressivité viennent à nouveau le secouer, alors que ses quatre ans dans un centre spécialisé pour jeunes détenus et les séances avec les psychologues lui avaient fait dompter sa dangerosité. Et voilà que tout reprend naissance.


Icare envoie valser le paquet d'usine qu'il tenait entre ses mains tremblantes, sous le regard étonné des autres travailleurs. Toute cette attention sur lui le rend encore plus mal à l'aise. Il tente de se souvenir des exercices du psy, mais ils lui semblent trop lointains et inatteignables. Il a peur. De ne pas savoir se contrôler. De tuer. Comme dix auparavant.

Il est sorti de ses pensées sordides par le paquet qui reprend place devant lui, tendu par JP.

—     Ça va ?

Le surveillant en chef ravale difficilement sa salive en voyant les étranges prunelles du détenu teintées par une angoisse sans nom. Icare attrape le paquet tel un robot, et tente de se reconcentrer sur sa tâche.

Non, rien ne va.





Le midi, Icare se résout à manger les pommes de terre sautées parce qu'il a faim, et c'est un des rares aliments gardant un goût et un aspect correct dans la prison. Simon le surveille du coin de l'œil. L'état de son codétenu l'inquiète sérieusement.

—     T'es ok Icare ?

—     Comme un mec en prison.

Simon pince les lèvres. À qui pourrait-il dire qu'Icare va mal ? Des centaines de rumeurs prennent naissance chaque jour sur l'état soit-disant problématique d'un gars. Tout le monde s'en fout. Ils réalisent que c'est trop tard seulement quand le détenu en question fait comme Jo'. Ils n'ont plus grand-chose pour tenir.

IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant