Icare

50 : La disparition.

Icare n'a pas dormi de la nuit. Et il pense que Lucile non plus. Les larmes ont été épongées par l'oreiller, comme si ce dernier était le tombeau des états d'âmes du jeune homme. Il se sent détruit, en miettes, en cendres. Avouer la vérité à Lucile s'était révélé comme un des moments les plus difficiles de son existence. Il avait honte. Honte de lui dire qu'il ne pouvait pas lui faire l'amour parce qu'il avait été incapable de résister à son gardien de prison qui avait des idées malsaines. Parce que depuis toujours, la société a fait que dans n'importe quelle relation, l'homme devrait faire l'amour à sa femme. Par que l'un est dominant, l'autre dominée. On peut rejeter cette idée misogyne, Icare lui-même peut la trouver aberrante. On peut dire que les temps ont changés. Que le but de l'homme n'est pas à se reproduire à tout prix et la femme à subir ce que le sexe opposé voudrait lui faire dans l'intimité d'une chambre. Sauf que voilà, les idées demeurent, et Icare se sent honteux à cause de cela. Il n'a même pas l'impression d'être un homme. Il n'a pas l'impression d'être fort. Il se sent affreusement inutile, incapable et misérable. Un déchet, une nouvelle fois. Il ne sait pas coucher avec une femme, il ne peut pas garder un emploi sans qu'on lui reproche ses conneries en pleine tronche, il ne peut pas prétendre à être une personne de bien parce qu'il se sent impardonnable.

Alors le matin, il est difficile pour lui de se lever. Il est fatigué, certes physiquement par une nuit blanche, mais aussi mentalement. Il est exténué. Il vient à se demander quand est-ce que tout cela s'arrêtera. La vie est un combat, mais la prison ne prépare jamais à la battre. Il vient de se prendre un coup fatal.

— Ne vas pas travailler si tu ne te sens pas bien, lui murmure d'une voix à demie ensommeillée Lucile.

— Ça me changera les idées.

Icare ne le pense pas. Il deviendrait fou à rester ici à penser à la façon dont Jauris l'a souillé, il ne supporterait sans doute pas de voir le visage attristé de Lucile. Icare déteste ce qu'il est, un aimant à problèmes, qui fait souffrir ceux qu'il aime.

Alors même si se rendre à son travail, alors qu'il ne lui reste qu'une semaine à tirer là-bas avant d'en être définitivement exclu, et que ses collègues vont probablement le regarder de travers après ses débordements de la veille, s'avère être un calvaire, il veut y aller. Même s'il sait aussi qu'il devra supporter le fait que Jules et Carlos aient découvert le secret que leur nouveau collègue gardait précieusement.

Icare se lève sans l'once d'une envie, s'habille sous un regard inquiet de Lucile, qui ne l'entend même pas déjeuner, avant qu'il ne parte.

Et Lucile reste dans le noir, muette, déboussolée, ne sachant plus quoi faire. Quand elle a rencontré Icare, elle s'était douté qu'il n'y avait pas de guide dans la vie pour vivre avec un ancien meurtrier. Mais elle s'y était fait parce qu'elle l'aimait. Mais il n'y avait pas de guide dans la vie tout court non plus. On apprend tout seul à faire face aux situations les plus simples, à se débrouiller en autonomie. Mais quand il s'agit d'aider un homme qui a été violé, tout devient plus compliqué. Personne n'en parle et personne ne sait comment faire. De même avec la dépression d'Icare, tout le monde a préféré se taire là-dessus.

— Et merde, soupire Lucile quand elle comprend tout cela.

Elle rabat la couverture avec sa main. Elle sait qu'Icare n'arrivera pas à surmonter cela tout seul. Qu'il lui faudra des autorités, des spécialistes. Au milieu de ces inconnus, il lui faudra ses proches. Parmi eux, il y a Niels. Parce qu'Icare peut recommencer à sérieusement broyer du noir, et elle ne veut pas que cela arrive.

Après un coup de fil très matinal passé à l'intendante du collège pour expliquer qu'elle ne pourra pas assurer ses cours de la journée en raison de problèmes personnels, Lucile se dépêche d'empoigner un jean et un chemisier dans son armoire. Elle grignote deux viennoiseries en quatrième vitesse, avant d'empoigner ses clés de contacts. Elle doit voir Niels, immédiatement.