16 : L'artiste derrière les barreaux.

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Lucile a une légère boule au ventre devant la porte de la prison. « C'est ridicule », se dit-elle. Pourquoi devrait-elle régir comme ça ? Elle n'a pas peur, elle est même un peu impatiente. Attendre à chaque fois six jours avant qu'arrive celui où elle anime l'atelier est long, horriblement long. Les journées au collège semblent interminables, malgré Adrien qui essaie de lui apporter du bon temps.

Lucile se sent mal par rapport à lui. Elle ne lui a pas proposé un autre rendez-vous. Pourtant il la fait rire, sourire. Et elle ne peut s'empêcher de penser à cet autre homme qui lui tord le cœur. Icare et son univers poétique et sombre à la fois. Le prisonnier qui ne peut jamais quitter son esprit.

Alors c'est avec une appréhension nouvelle que la jeune femme suit Caro dans leur repère habituel de la prison. Lucile ne peut s'empêcher de détailler chaque homme qu'elle croise, dans le sincère espoir qu'un détienne des dessins poétiques sur les bras ou un regard captivant. Mais aucun signe d'Icare.

Elle traverse la porte de la bibliothèque, et se contente de sourire quand elle voit les hommes qui l'attendent. Ce qui lui fait plaisir, en revanche, c'est qu'à chaque fois, il doit bien y avoir un nouveau venu. C'est comme un petit cadeau à chaque fois qu'on lui fait, elle se dit que c'est une bonne chose d'arriver à donner le sourire à un nouveau gars coincé derrière les murs.

Alors, tout s'enchaîne rapidement, avec une étrange routine qui s'est installée en quelques séances seulement. Lucile et Caro parlent de livres, échangent avec les détenus sur leurs personnages et moments préférés du bouquin, avant de faire un peu de rangement.

Lucile replace quelques bouquins quand elle repère une silhouette qu'elle espérait croiser il y a longtemps. Un sourire se dessine instantanément sur son visage. Elle part chercher le livre qu'elle avait mis de côté sur une chaise, avant de s'approcher de l'homme, les mains légèrement tremblotantes. Que pourrait-elle lui dire en fait ? Pourquoi voulait-elle autant parler à ce prisonnier ? Elle ne savait pas, mais elle voulait le faire. C'est comme si quelqu'un dictait ses gestes à sa conscience. Le cœur sans doute.

Icare a caché ses cheveux châtains sous un bonnet gris, et cela lui donne un curieux mélange d'air enfantin avec un regard sombre. « Un regard sombre de délinquant », souffle un instant une petite voix à Lucile. Elle se maudit. Pourquoi en même temps qu'éprouver de l'admiration à cet étrange jeune homme, elle ne peut s'empêcher de le craindre ? Pourquoi un tel mystère alimente chaque seconde le mythe d'Icare ?

Elle lui tend son recueil de poésie, et elle voit un sourire radieux d'Icare, qui parait incroyablement soulagé.

—     Tiens, JP me l'a fait parvenir, mais je crois que cela t'appartient, dit-elle, seulement capable de regarder la couverture du bouquin.

—     Merci beaucoup. Mon codétenu s'est chié dans mes bouquins.

Lucile est surprise un instant par le langage si familier qui sort automatiquement de la bouche du jeune homme. Lui ne semble pas le remarquer. C'est étrange dans un sens, il lit de la poésie pour s'exprimer avec vulgarité. Ce serait comme faire de la danse classique dans un habit de bûcheron, cela est possible, mais déjoue tout ce dont on a l'habitude de voir ou de penser.

—     Du coup, tiens, voici le bon.

Lucile attrape l'autre bouquin tendu par Icare. Quelques secondes de silence passent, elle remarque à l'instant comment elle avait oublié l'atmosphère de la bibliothèque. Elle a l'impression qu'il n'y a plus Caro, JP et Jauris, ou encore Abel et les autres détenus. Juste Icare et elle. C'est perturbant.

Elle retourne son attention sur le prisonnier, quand elle remarque qu'il fronce les sourcils en ouvrant son bouquin personnel.

—     Tu l'as lu ?

IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant