53 : Soupçons erronés.

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Lucile est surprise quand elle sent un de ses collègues lui tapoter le bras. Elle sursaute, manquant de renverser le verre de café que vient de lui servir son ami, Antoine Barel, le professeur d'anglais.

—    Désolé Lucile, je ne voulais pas t'effrayer, rigole le professeur de mathématiques qui l'avait touché.

—    Ce n'est rien, j'étais perdue dans mes pensées, soupire cette dernière.

—    Oui c'est pour ça. Je voulais te dire que ton café était sûrement froid maintenant. Tu veux que je t'en refasse un ?

—    Merci Daniel, mais ça ira.

Lucile mime un sourire, ne sachant pas si elle réussit à convaincre ses collègues. Celui face à elle, Adrien, ne paraît pas convaincu. Il détaille de son regard un peu trop intense la jeune femme face à lui, comme s'il pouvait ainsi lire dans ses pensées. Pourtant, un rapide coup d'œil montre que Lucile n'est pas dans son assiette : elle est toujours ailleurs, des cernes creusent son visage, et surtout, ce matin elle s'est trompé d'étage pour donner cours. Quelle n'a pas été la surprise d'Adrien de voir débouler ce matin la jeune femme dans sa salle de classe, l'air débordée et mettant bien quinze bonnes secondes à comprendre qu'elle s'est trompée d'étage.

—   Tu vas bien Lucile ? se risque à demander Antoine, le nouvel ami de cette dernière.

—   Rien de bien grave, mais merci de s'inquiéter, ment Lucile en souriant toujours.

Lucile est une terrible menteuse. Adrien le voit face aux yeux de la jolie brune qui se baissent à nouveau sur son café, assombris par un voile de mélancolie.

Lucile, elle, a juste envie de pleurer, afin de calmer ses nerfs. Elle est fatiguée, à force d'angoisser quotidiennement. Icare a quitté l'hôpital il y a seulement quelques jours. Son père part aujourd'hui, ayant déjà usé ses deux semaines de congés payés. Et donc la jeune femme se retrouve seule chez elle avec Icare.

Alors oui, elle est heureuse qu'il ne soit plus à l'hôpital, endroit qui déprimait affreusement Icare, malgré tout le soutien médical qu'il pouvait y trouver. Quand il était chez elle, il allait mieux. Son père était là la journée pour passer le temps, accompagner Icare jusqu'au cabinet du psychologue, lui parler et le rassurer. Et surtout, pour le surveiller.

Désormais, Icare reste seul la journée. Il n'a plus son bracelet, et cela ajoute un stress supplémentaire à Lucile. Elle a peur qu'il en profite pour partir loin, faire une nouvelle connerie avec sa santé. Oui, à chaque instant, elle craint qu'il ne se mette en péril. Après tout, il peut très bien y arriver dans l'appartement aussi. Malheureusement, Icare a toujours redoublé d'ingéniosité quand il s'agissait de trouver un moyen de mettre fin à sa vie. Alors Lucile a beau avoir caché tous ses médicaments, dissimulé les lames de rasoirs dès qu'elle partait au boulot, elle sait qu'elle ne peut rien faire de plus. Les couteaux de la cuisine seront toujours disponibles. Icare peut s'acheter des médicaments, des lames. Il peut décider quand mourir, même si devant Lucile, il tente de montrer qu'il n'en a pas envie. Pourtant, elle entend ses pleurs au beau milieu de la nuit, même s'il essaie de se faire discret. Elle remarque que parfois, il effleure ses cicatrices du bout des doigts. Icare veut guérir mais ses démons sont trop présents. Le remède est le temps, mais il est trop lent.


Lucile guette son portable. Elle a envoyé un message à Icare pour savoir s'il va bien et s'il a mangé, il lui a répondu par l'affirmative. Il est vivant, au moins. Ou il l'était il y a trois minutes. Elle doit le saouler à lui envoyer six ou sept sms tout au long de la journée, mais c'est son unique moyen de se rassurer.

En levant les yeux de son téléphone, Lucile remarque qu'une bonne moitié de ses collègues est déjà partie. Elle regarde sa montre, découvrant que la récréation du midi se termine dans un peu moins d'une dizaine de minutes. Elle empoigne le plateau du self, peu entamé. Elle serait une élève, la dame de la cantine l'aurait engueulée. Enfin, elle aura son regard désapprobateur et cela lui donnera les mêmes frissons dans le dos que ceux qu'elle avait quand elle était une collégienne.

IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant