Lucile a regretté sa nouvelle résolution de venir à pied au collège. En voiture, elle serait de retour chez elle en cinq minutes. Et aujourd'hui, le trajet de quinze minutes sur les trottoirs lui parait interminable. Elle grimpe les escaliers deux par deux, ouvre sa porte sans grande délicatesse, sans apercevoir Icare. Son cœur se pince un instant, avant d'entendre sa voix grave résonner à l'extérieur. Lucile dépose ses affaires dans le hall, et avance parmi son séjour plus ou moins rangé, et dont plusieurs de ses plantes réclament de l'eau. Elle s'arrête devant la baie vitrée grande ouverte, et découvre Icare dos à elle, assis sur le canapé d'extérieur installé sur le balcon, en grande conversation téléphonique.
— Oui papa, je te jure que tout va bien... Oui, au boulot aussi... Oui et je mange correctement, Lucile cuisine super bien... Bien sûr que je l'aide... Oui, elle va bien aussi, elle devrait bientôt rentrer du collège...
Lucile sourit, attendrie. Icare ne l'a pas remarquée et continue de parler avec son père. Lucile sait qu'il lui téléphone souvent, plusieurs fois par semaine, à défaut de vivre assez loin et de ne pouvoir lui rendre visite. Lucile a aussi compris que c'était un nouveau luxe dont Icare profitait, car il n'avait pas de portable en prison, et que pour bénéficier du fixe, cela ressemblait à une mission impossible. Du coup, le fils et son père se téléphonent souvent, et Lucile est toujours émue devant le sourire heureux d'Icare quand il dialogue avec le seul membre de sa famille qui doit lui rester.
— Oui elle est géniale... Tu la rencontrerais, tu l'aimerais tout de suite... Quoi ?
Icare se met à éclater de rire quelques secondes, avant de porter une main contre sa nuque. Lucile a l'impression que ses émotions négatives de la journée disparaissent.
— Arrête de te foutre de moi Pa'. Ouais, mais je sais pas si tu comprends... Je l'aime, mais j'arrive pas à lui dire... Parce que j'ai l'impression que personne ne peut m'aimer, moi...
Un lourd silence s'en suit, au cours duquel le cœur de Lucile ne sait plus où se donner de la tête. Elle pourrait retenir l'idée qu'Icare l'aime. Cela la comble de joie. Et en même temps, elle est attristée de voir à quel point l'homme manque cruellement de confiance en lui.
— Oui, je sais, tu me le répètes toujours, reprend Icare doucement. Je t'aime aussi et j'aimerai te revoir... Je n'aurais pas ce foutu bracelet, je prendrais un billet de train pour passer un week-end chez toi... Ouais bientôt... Je n'en ai plus que pour trois semaines de cette merde... Oui, il me tarde aussi...
Icare soupire, relève le regard vers l'horizon. Lucile ne saurait pas dire à quoi il pense. Icare pense toujours. Il a des pensées toujours plus secrètes les unes que les autres. Il les emprisonne dans son esprit tout comme la vie l'a enfermé lui. Tout est réduit au silence.
— Pa', je suis désolé, mais je vais devoir raccrocher, Lucile va rentrer. Elle va découvrir le cabas de courses que je n'ai toujours pas rangé, peut-être qu'elle va râler... Oui je t'aime aussi, je t'embrasse.
Lucile tourne la tête vers le cabas de fruits qui traîne sur la table de la cuisine, ne pouvant empêcher de sourire. Elle ne râlera pas.
Elle est surprise par la silhouette d'Icare qui se redresse et se tourne enfin vers l'intérieur de l'appartement. Il aperçoit Lucile et semble décontenancé une seconde.
— Ah, tu es rentrée ?
— Euh, oui, je viens juste. Cela ne fait même pas trois secondes, ment Lucile.
Elle sait que rien de sert de dire à Icare qu'elle a entendu une bonne partie de sa conversation. S'il fait des choix de garder des paroles pour lui ou pour son père, c'est qu'il se sent mieux ainsi. Lucile ne voudrait pas le mettre mal à l'aise avec ses sentiments.
VOUS LISEZ
Icare
Romance*Histoire contenant l'équivalent des Tomes 1 et 2* Lucile, jeune professeure d'histoire pétillante, ne pensait pas qu'elle remettrait toute sa vie en question suite à une simple rencontre. En effet, quand son amie, une infatigable libraire, lui dema...