33 : Un nouveau monde sans repères.

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Icare a toujours pensé qu'il n'aimait pas la prison. Qui aimerait vivre dans un lieu insalubre, bloqué, où violence et peur règnent inlassablement ? Probablement personne. Sauf qu'il réalise que la prison a toujours été son unique repère. Il a vécu son enfance dehors, mais sa vie de jeune adulte s'est juste partagée entre deux centres pénitenciers.

Il a grandi dans ce milieu, et finalement s'y est habitué. Il a compris qu'il faut user d'une image négative de soi pour impressionner les autres détenus et obtenir un bon statut, et avoir une image positive aux yeux de l'administration. Il a compris ce subtil équilibre et il a toujours essayé de le maîtriser. 

Il sait aussi qu'il n'est possible de prendre une douche qu'un jour sur deux, et qu'il faut arriver dans ce cas avant dix-huit heures trente environ pour avoir de l'eau chaude. Un sourire à un surveillant permet de se le mettre dans la poche, il est moins regardant sur le comportement par la suite. Le jeudi, c'est soit paëlla, soit parmentier de canard. Un mercredi sur deux, il y a les frites. Le détenu de la cellule 249 est un toxico, avec quelques médocs, il est possible de tout obtenir de lui. Celui de la 55 raconte des blagues drôles. Celui de la 144 possède un portable qu'il peut prêter discrètement. 

La prison est tout un univers, et Icare en connait les moindres secrets. Cela lui paraît étrange de se dire que dans quelques jours, il ne connaîtra plus tout ça. Il ne connaît rien du monde extérieur en revanche, et cela l'effraie.



Icare marche jusqu'à la cellule de Miguel. Il pousse doucement la porte et trouve son ami allongé sur son lit, feuilletant un vieux magazine écrit en espagnol. Icare a souvent vu ce vieux torchon, il est sûr que le détenu l'a lu une bonne centaine de fois depuis qu'il est là.

— Icare ! s'exclame-t-il en roulant comme d'habitude le « r » de son prénom. Tu vas bien mon ami ? Tu as préparé tes affaires ?

— Ouais, sourit simplement Icare.

Bon en même temps, Icare n'a pas grand-chose. Le rangement est très vite fait. Quelques vêtements, ses bouquins et son courrier. En quelques minutes, il aura tout fourré dans des sacs, prêt à partir.

— Plus que deux jours, sourit l'argentin.

Icare hoche la tête, fixant le visage de l'homme. Il a un visage qu'il n'oubliera pas. Sa peau bronzée, ses cheveux mi-longs bruns, ses yeux noirs terriblement expressifs, en proie à un mystère aussi grand que le détenu qui a participé à une révolution dans son pays natal, sans jamais en dire plus.

— Et ils t'ont mis le bracelet électronique ?

Icare soulève son jogging, où désormais le dispositif entoure fermement sa cheville. Ils lui ont placé quelques jours avant de sortir pour qu'il s'habitue à la sensation.

— Tu peux pas l'enlever ou le couper ? demande curieusement Miguel.

— Non, ça résiste à l'eau, et on ne peut pas couper le lien, c'est trop solide. La seule solution c'est m'amputer le pied, constate Icare.

L'argentin émet un petit rire avant de recoiffer ses boucles noires.

— Au pire, c'est juste pour deux mois, ajoute Icare.

— Tu me fais rêver avec ta liberté... Tu la mérites quand même.

— Dis, comme je vais partir, tu ne veux pas me dire pour combien de temps tu es bloqué ici ?

Un rictus amusé prend naissance sur les lèvres de Miguel. Icare est jeune, un peu brut dans ses questions. Il aurait pu se douter qu'il intriguait son ami.

IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant