10 : Un espoir éteint.

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Il fait sombre. Il fait toujours sombre derrière les murs, et encore plus au fin fond des âmes. Elles sont noires, pas par leur nature, mais parce qu'elles ont perdu. L'espoir. Celle d'Icare demeurait sombre comme des cendres après qu'un feu ait brûlé, par un battement d'ailes qui l'a rapproché trop près du soleil avant de le faire tomber dans les abysses obscurs de son enfer. Et parmi toutes ces cendres, il aimerait croire qu'il reste encore une braise à attiser, une petite lumière à rallumer, une chaleur à préserver, des flammes à observer, un éclat qui le mènera à nouveau à contempler l'astre solaire.

Icare ne voudrait croire qu'en une chance qu'on puisse lui accorder, mais il a l'impression que tout le repousse de cette dernière. Il sait qu'il ne pourra jamais entièrement réparer ses erreurs passées, mais il aimerait montrer qu'il peut être autre chose. Mais personne ne lui laisse l'occasion de le montrer, et surtout pas en le laissant coincé dans les murs miteux de sa cellule, à tenir compagnie à l'ennui, tousser contre l'humidité qui a envahi l'air du bâtiment, soupirer en voyant des hommes comme lui qui se meurent doucement à petit feu de l'intérieur.


Etrangement, le silence demeure dans les couloirs d'habitude animés de la prison. Les hommes n'osent rien dire. Un détenu s'est suicidé. Six ans qu'il pourrissait ici. Tout le monde pensait qu'il venait de franchir le pire. Icare aussi. Les premiers mois sont cruciaux, le changement radical face à la vie à l'extérieur est une tyrannie pour n'importe quel esprit. Tout lâche et c'est une nouvelle chute. Il faut juste apprendre à se relever, non pas une, mais plusieurs fois. Les prisonniers ne tombent pas qu'une fois dans leur vie, leurs destins est un enchaînement de chutes, à apprendre par cœur le goût du sol et de la poussière, et se demander à quoi cela sert de se remettre debout si c'est pour à nouveau finir sur les genoux.

Puis on s'y fait. Pas complètement. Mais le fait de se relever devient une petite habitude. Un rouage dans un engrenage de la vie, dans un cycle qui se répète. Et ce rouage, un jour, il peut casser. Tout le monde veut éviter que cela arrive, mais des fois, il rompt. Et la chute est encore plus dure, douloureuse et amère. On oublie le goût de l'espoir, c'est l'échec qui a pris place. On ne veut plus se relever. On tombe. On crève.

Icare connaissait très bien le malheureux qui a mis fin à ses jours. Il a déchiré le tissu de ses vêtements pour se pendre avec. L'air pourri de la prison n'a plus pu parvenir à ses poumons. C'est triste comment un oxygène aussi encrassé devient tout à coup vital, et comment la décision de le renier est ironique et destructrice.





Icare a quitté le couloir dans lequel il était assis depuis une dizaine de minutes et où il fixait une porte, derrière laquelle un des lits resterait vide ce soir. Il imagine le choc que cela a dû être pour les codétenus de l'homme de le retrouver ici, le corps sans vie. Cela arrive souvent dans les prisons, mais au fond, on n'est jamais prêt quand cela arrive à un compagnon de cellule. Icare sait de quoi il parle.

Il décide de se changer les idées en allant se doucher. Il se fait peu d'espoir, il est l'un des derniers à y aller ce soir. Il n'aura sans doute plus d'eau chaude. Au pire, il s'en fout. Le détecteur automatique allume le couloir des douches dès lors qu'il s'y dirige, chassant la noirceur des soirs de décembre où la nuit tombe tôt. Il croise quelques regards de détenus, intrigués que le jeune homme vienne aussi tardivement, et non le corps trempé de sueur comme quasiment tous les autres jours où il traîne dans la salle de sport.

Il actionne l'eau et un jet tiède puis rapidement froid déferle sur ses épaules tatouées. Les dessins semblent prendre vie dès lors que l'homme bouge ses bras pour attraper son gel douche et nettoyer son corps. Un enchevêtrement d'histoires ancrées sur sa peau veulent à nouveau raconter des secrets cachés au fur et à mesure que le savon recouvre les muscles du détenu, cachant son épiderme avant d'être chassé par une cascade glacée qui retombe sur lui.

IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant