2 : Dix ans de prison.

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—     Hey Icare, quand tu auras fini de mouler tes fesses sur l'appareil de muscu, tu me le laisseras ? gueule un gros lascar en entrant dans la salle de sport.

—     Pourquoi ? Elles te plaisent tant que ça mes fesses ? demande le jeune homme tandis que des perles de sueur longent délicatement les traits de son visage.

—     Si tu savais comme j'ai envie de retourner tes petites fesses ! Tu ferais moins le malin et on t'entendrait gueuler depuis la cour !

Le jeune homme, de tout juste vingt-sept ans, ne se laisse pas impressionner par l'homme d'une quarantaine d'années et aux larges bras poilus qui attend face à lui. Il lève un sourcil provocateur tout en souriant narquoisement, laissant apparaître une lignée de dents blanches impeccablement alignées.

—     Mon cul se paie en desserts supplémentaires à la cantine*. Fondants au chocolat exactement !

—     Putain, déjà qu'on n'en a même pas une fois par mois, ne crois pas que je vais user le peu que j'ai pour cantiner* pour ton petit cul !

—     Je croyais que tu l'aimais bien, c'est tout, continue le jeune en haussant les épaules.


L'homme se met finalement en face de l'effronté. En vrai, il l'aime bien ce petit jeune. Vingt-sept ans et déjà en prison, c'est triste. Souvent, les mecs comme lui ne se font pas respecter. De toute façon, le monde est sans pitié où que ce soit, mais c'est peut-être pire derrière les murs de la prison.

Mais Icare, lui, a su s'imposer. « C'est un habitué », soupirent souvent les autres pensionnaires à son égard. Oui, c'est vrai après tout. Condamné à dix-sept ans, quelques mois passés dans un centre pénitencier pour mineurs, puis jusqu'à vingt et un ans dans une section spécialisée des jeunes adultes, avant d'être finalement envoyé ici avec tous les autres. Il aurait pu se faire détruire à son arrivée. Mais non. Peut-être son sourire sarcastique et son petit air démoniaque y étaient pour quelque chose au début.

Mais plutôt, tout de suite, on a su qu'on ne pouvait pas plaisanter avec lui. Il n'est pas comme ces gars qui viennent pour quelques misérables années, pour un petit délit ou crime, des hommes qui faisaient les malins dans la société mais qui ont appris à raser les murs de la prison et traverser les couloirs la queue entre les jambes.

Icare n'est pas comme ça. Il était venu l'air de rien, et n'avait pas prêté attention aux autres dès le départ. Il attendait. Il voulait voir si on allait lui faire la peau. Il n'avait rien à présent. 

Les gars étaient venus le voir à son deuxième jour. Il les avait juste regardés avec son air insolent des jeunes de vingt et un ans.

—     Le gamin ! T'es là pour quoi ? Ils ont cru que c'était une crèche ici ? avait demandé un vieil habitué bourru, en bousculant de l'épaule le jeune homme dans la cour de promenade.

Icare avait dévisagé cet inconnu. Le premier qui venait lui parler depuis qu'il était là. Il gueula à nouveau, faisant sursauter et retourner tous les autres détenus vers ce petit nouveau, alors que ce dernier restait autant impassible, presque blasé :

—     Tu veux faire ton malin ? Des gosses comme toi, je leur fais la peau ! Tu es sûr que tu veux avoir tous les os brisés ? Réponds ! Tu étais le dealer de ton école primaire ?

L'homme avait déclenché l'hilarité générale, amenant l'attention de chacun sur les mots qu'allait enfin prononcer le nouveau, qui restait de marbre face à son adversaire qui tentait de l'intimider.

—     Alors ? Il t'a dit quoi cet enculé de juge ? Réponds.

Icare n'avait pas quitté les yeux sombres et menaçants de celui qui osait l'importuner. Toujours impassible, il soupira cependant. Pourquoi venait-on le voir ? Il n'aimait pas qu'on lui cherche la merde. Parce qu'après il faisait des conneries. De graves conneries. Dignes de lui voir prononcer quinze ans de taule.

—     Oh ! Je te cause ! Ta belle gueule, crois-moi que je vais la défigurer ! Tu pleureras quand tu ressortiras d'ici dans cinq ou six ans et que tu verras ton reflet dans un grand miroir !

—     Je ne suis pas là pour quelques années.

—     Ah bon ? T'as fait quoi ?

—     Homicide volontaire. J'ai tué quelqu'un qui me pourrissait la vie. Ne me pourris pas la vie ici.

Un silence insoutenable avait désormais empli l'espace. Tout le monde dévisageait Icare. Comment un jeune garçon tout juste majeur pouvait déjà avoir tué quelqu'un de sang-froid ? En détaillant chaque facette du visage du jeune homme, on remarquait qu'il restait impassible. Cela ne lui faisait rien d'avoir ôté la vie de quelqu'un. Il en était terrifiant. Et c'était cela, Icare s'était imposé par la peur au début.


Aujourd'hui, il est respecté. Le gars qui est venu l'emmerder dans ses premiers jours ? Il est désormais face à lui, sur la machine de sport. Entre plusieurs poids soulevés, il adresse un sourire au jeune détenu.

Putain, qu'il a grandi en six ans ! Il fait beaucoup plus homme. Il a pris davantage de muscle, traînant quotidiennement dans la salle de sport. Désormais, ses bras couverts de tatouages laissent apparaître des biceps plus développés que ceux lorsqu'il était arrivé. Une légère barbe marron lui recouvre une partie du visage, adoucissant l'air sévère que le prisonnier avait souvent abordé. Mais une seule chose n'a pas changé : sa force et cet insupportable air insolent. 

Ce dernier se retranscrit à travers ses prunelles d'un indéfinissable gris, tournant tantôt vers le bleuté, ou le verdâtre, sans que personne n'arrive à s'entendre là-dessus. Ce qui fait l'unanimité en revanche, c'est la lueur dangereuse qui règne dans son regard, tel un aigle guettant sa proie, prête à lui atterrir dessus et lui livrer le coup fatal en à peine une seconde.

Car tel l'aigle, Icare a volé. Comme le mythe, son père l'avait mis en garde. Icare ne l'a jamais écouté. Sa vie entière a basculé, et à présent, il se retrouve à moisir derrière les barreaux d'une prison.


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Je vous mets un peu de vocabulaire spécial à la prison, dont le sens diffère de notre langage courant donc voilà (si vous avez besoin d'autres explications n'hésitez pas) :

Cantine : en prison, correspond aux extras que peuvent se payer les prisonniers (comme la télé, mais aussi des produits d'hygiène par exemple ou de la nourriture en plus de leur repas quotidien, etc...). 

Cantiner : c'est l'argent donc que les prisonniers utilisent pour la cantine. Cependant, les prix sont beaucoup plus élevés que pour nous.

IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant