Icare

24 : Les sales gosses.

La voix de Niels tremble. Il ne semble pas y croire, et pourtant, Icare est là. Il n'a pas halluciné. L'homme n'a pas changé. Il a cru rêver au début, et pourtant, il avait ce même visage, ce même regard, et tous ses dessins sur ses bras nus. Icare est unique.

Icare n'ose pas dire un mot, mais une larme le trahit en coulant sur sa joue. Il dévisage à peine le jeune homme face à lui que Niels s'avance et le prend dans ses bras. Et c'est sans doute le geste de trop, parce qu'Icare éclate en sanglots. Niels est là, devant lui, dix ans après le soir d'Halloween, dix ans après que leurs existences se soient séparées.

Lucile regarde médusée les deux hommes, tous les deux en pleurs. Elle ne comprend rien. Niels connaît Icare ? Mais pourquoi n'est-elle pas au courant ? Remarque, elle avait toujours gardé secrète l'identité d'Icare, tout comme Niels n'avait jamais été très bavard sur son passé. Elle fronce les sourcils, elle a l'impression d'avoir raté plus d'un épisode sur la vie de son meilleur ami et de l'homme dont elle tombe amoureuse.

Une autre silhouette entre subitement dans la chambre, avant de crier, l'air paniqué :

— Lucile tout va bien ? J'étais à l'autre bout du couloir quand j'ai vu ce gars entrer et... Mais merde, qu'est-ce qui se passe ?

Lucile ne pourrait même pas répondre à la question car elle n'en a vraiment aucune idée. Niels lâche une seconde Icare, le visage toujours autant marqué par l'émotion. Il a l'impression de revenir plus d'une dizaine d'années en arrière, quand il traînait dans les rues de sa banlieue avec ses amis, ceux que les mères de famille d'en dehors craignaient en les appelant les « sales gosses ».

— Je comprends pas... Icare qu'est-ce que c'est que ce cirque ? s'énerve le surveillant.

Un sourire radieux traverse maintenant le visage d'Icare noyé par les larmes. Il a l'impression de vivre à nouveau dans un rêve maintenant. Il lui arrive le pire, et juste après, Lucile se présente et l'encourage, et enfin, il retrouve miraculeusement Niels.

— JP... Je sais pas comment c'est possible mais... C'est Niels, mon ami d'enfance que j'avais dans le Nord...

Le maton est tout autant désemparé que Lucile. Il pourrait s'étonner en disant que le monde est petit, il n'en reviendra jamais de tout ce que le hasard est possible de faire. Déjà, pour trouver Lucile le jour même où Icare est hospitalisé, mais pour qu'en plus l'ami de la jeune femme soit en même temps un ami d'enfance du détenu, il n'en revient vraiment pas. Il attend quelques secondes, fixant les deux hommes qui sourient face à lui. Mais comment est-ce possible ?

— Icare, je te laisse cinq minutes de visite en plus mais c'est tout. Parce que le personnel hospitalier va se douter de quelque chose, et ça m'emmerderait de vous amener des ennuis, annonce le maton de sa voix autoritaire.

Niels fronce les sourcils face à cet homme en uniforme marine où est clairement indiqué « administration pénitentiaire ». Puis les éléments se font de plus en plus clairs dans son esprit : Icare est encore en prison pour le meurtre qu'il a autrefois commis. Et il est dans le centre pénitencier où Lucile fait les ateliers littéraires, c'est l'unique explication pour le fait qu'ils se connaissent. 

Et Niels se sent stupide : il avait des éléments devant lui, quand Lucile lui a tendu le bouquin de poésies dessinées, lui a parlé d'un meurtrier en prison... C'était le monde d'Icare. Pourquoi n'a-t-il pas fait le lien en voyant le livre ? Il aurait dû reconnaître les dessins d'Icare, les mêmes que ceux qu'il lui amenait sur des feuilles de papier avant qu'ils ne réfléchissent lesquels il se tatouerait chez l'ancien petit-ami de Niels.