7 : Le mythe d'Icare.

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Bien sûr, le lendemain, Lucile croise Adrien. Pourtant, elle avait prévu d'arriver en retard de quelques minutes, pour éviter de passer dans la salle des professeurs. Mais c'est sans compter le fait que malgré le labyrinthe de couloirs du collège, leurs deux silhouettes se rencontrent au détour d'un passage. Elle veut faire demi-tour, mais quand la jeune professeure entend son nom résonner, elle sait que c'est foutu.

Elle regarde sa montre. Il lui reste trente secondes avant la sonnerie. Adrien ne pourra pas lui dire grand-chose pendant ce laps de temps, non ? Puis, elle se trouve bien ridicule. Adrien est gentil. C'est un collègue. Ok, il a entendu que Caro lui trouvait un mignon petit cul, et alors ? D'ailleurs, Lucile n'y a jamais fait attention. Il faudrait qu'elle vérifie, pour rétablir ou non la vérité. Enfin, là n'est pas le problème. « Respire, Lucile. Essaie d'être normale, comme d'habitude », s'ordonne-t-elle mentalement.

—     Lucile, ça va bien ? Tu es arrivée en retard ce matin.

Lucile se demande un instant si Adrien se fout d'elle ou non. Il a entendu qu'il a un cul mignon. Et il n'en fait pas de cas ? Peut-être qu'il est gay ?

—     Euh oui, très bien. Juste... Problème avec mon... Micro-onde ce matin. Et toi, ça va ?

Lucile est forcée d'admettre intérieurement que même ses élèves sont plus inventifs quand il s'agit de trouver une excuse à leur retard pour la première heure de cours de la matinée. Adrien commence à sourire, laissant apparaître des petites fossettes sur ses joues.

—     Très bien aussi. Je voulais voir comment tu allais, suite à l'atelier dans la prison et tout.

—     Ça va, enfin. Je n'étais pas sereine mais... Bon je stresse un peu pour la semaine prochaine aussi, mais je pense que je vais m'y faire. Cela change un peu le quotidien de ces détenus, admet la jeune femme en remettant anxieusement une mèche brune derrière son oreille.

La sonnerie retentit mais les deux professeurs ne lui accordent pas une importance particulière. Adrien attend juste que le bruit se taise pour rajouter :

—     Tu me raconteras ça si tu veux, autour d'un verre par exemple.

Il n'est pas gay. Lucile en est persuadée Et les pommettes de l'homme qui se teintent légèrement de rouge peuvent lui confirmer. Les neurones de la jeune femme ne semblent fonctionner que pour répéter un message dans sa tête : « tu plais à ton charmant collègue (au mignon petit cul selon les dires de Caro) ».

—     Oui si tu veux.

—     Génial. Demain soir, ce serait ok pour toi ? De toute façon tu as mon numéro.

—     Ok pour demain... Enfin. Cool. Euh... Je vais dans ma salle je suis en retard ! A tout à l'heure.

Et la femme, rouge comme une pivoine, détale devant les yeux rieurs d'Adrien, pour se réfugier dans son habituelle salle d'histoire.

Elle rigole nerveusement en s'asseyant derrière son bureau. Elle sort rapidement son portable pour envoyer un sms à sa meilleure amie pour lui annoncer le rencard, habitude qu'elles ont gardé depuis leurs quinze ans d'amitié.

Caro : Hiiiiiiii ! C'est génial ! Tu me raconteras tout, tu n'as pas le choix ! (PS : Je laisserai mon téléphone sur sonnerie et ma batte de baseball dans la voiture, au cas où. Un sms pour me dire que c'est un gros lourd et j'accours l'assommer). Courage pour aujourd'hui !

Lucile sourit, avant que les premiers élèves patientant dans le couloir et émettant un raffut incroyable la ramènent face à la réalité. Elle se lève et ouvre la porte, prête à faire entrer la trentaine de gamins dans la salle pour leur parler des carolingiens. Quel programme !





Une heure plus tard, alors que sa classe de petits sixièmes effectue un contrôle sur l'époque égyptienne, et que tout est bien silencieux, la jeune femme surprend son esprit à vadrouiller au milieu d'un cours qu'elle prépare à l'avance.

Elle repense à la veille, à la prison. Non pas à l'intérieur et son atmosphère stressante qui la perturbaient, ou bien à l'hypothèse qu'un détenu s'échappe pendant la nuit et vienne la tuer (pourtant, elle n'avait rien fait de mal, elle avait même parlé du « Petit Prince » avec le maigrichon) ; hypothèse qui lui avait empêché de trouver le sommeil une bonne partie de la nuit.

Non, elle pense à l'individu qui s'est tenu loin d'elle, presque méfiant. Pourtant, elle imagine que c'est elle qui devrait largement être sur les gardes.


Mais son regard... Ce putain de regard poignant hante les pensées de Lucile. Elle aime ce regard. Elle lui trouve quelque chose, mais elle ne saurait quoi dire. Même, elle n'arrive pas à le visualiser avec précision, ni à s'entendre une bonne fois pour toute sur sa couleur. Il dégage juste quelque chose d'intriguant. Une histoire. Pourtant, elle comprend que l'histoire de cet homme ne doit pas être bien glorieuse pour qu'il se retrouve derrière les barreaux. Mais cela la trouble.

Elle n'oublie pas non plus son malaise. Il était tombé d'un coup, presque aimanté par le sol. Lucile se souvient qu'elle ne savait pas comment réagir. Pourquoi exactement cet homme avait fait un malaise ?

La jeune femme se souvient de sa carrure qui lui donnait une illusion de force. Et sa pâleur, traduisant que cette force n'était qu'un leurre. Lucile l'avait deviné : il était épuisé. Son corps l'avait lâché d'un coup. Même les autres détenus présents à l'atelier avaient semblé surpris.


Et puis un dernier élément la marque. Un qui accentue le mystère intouchable que possédait ce prisonnier. JP avait demandé une chose avant qu'il ne tombe : « Icare, tu es bien pâlot. Ça va ? Icare ! ». Et le détenu n'avait pas pu répondre. Il était déjà inconscient au sol.

Icare. Voilà ce qui marque Lucile. Son prénom. Il n'est pas commun, jamais elle n'a croisé quelqu'un qui portait le nom d'un homme de la mythologie grecque. Bien sûr, elle connait les grandes lignes de ce mythe. Et elle ne peut s'empêcher de trouver ce prénom beau.

Icare. C'est lointain et original, presque inaccessible. Cela sonne comme le mythe, une histoire mystérieuse dont seul son héros connait l'exacte vérité, le reste ne sont que des interprétations des conteurs. L'existence d'un prisonnier au regard pénétrant, au passé énigmatique, qui lui donnent en dépit du danger qui l'incorpore, un charme incontrôlable.

Icare. Elle ignore encore à quel point ce prénom changera sa vie.

IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant