29 : Aimer pour espérer, ou espérer d'aimer.

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Icare reste assis contre le mur où la moisissure grignote la peinture, échappant quelques toux sèches de temps en temps. Il ne fait pas d'asthme comme beaucoup ici, mais il doit avouer que l'air humide est souvent dur à respirer. Enfin, il ne s'en plaint pas trop non plus. Certains repartent d'ici avec le sida, une hépatite, la gale ou toute autre maladie cutanée, une vision qui a complètement chutée à cause du manque de lumière de certaines cellules, d'autres deviennent shootés à l'héroïne, des gens se font interner...

Finalement, de légères difficultés respiratoires, ce n'est rien. Cela l'empêche juste de dormir certaines nuits où l'air humide rentre dans sa cellule et qu'il a l'impression de manquer d'oxygène, mais il s'y fait. Il arrive quand même à faire du sport. Heureusement. 

Il se dit qu'il va bien sinon. L'administration pénitentiaire dirait sans doute qu'il va bien aussi. Quelques carences alimentaires, mais cela concerne tout le monde. Aucune dépendance à la drogue, ce qui est rare ici. Quelques cicatrices, élans d'impulsivité : une réponse logique à l'enfermement.

Une dépression aussi... Mais ça, tout le monde préfère fermer les yeux dessus. Des tentatives de suicide, qui demeurent cloîtrées dans le silence. Personne n'aime l'évoquer. On veut se borner à dire qu'Icare va bien parce que physiquement, il semble tenir le coup. Autant s'arrêter à cela. Psychologiquement, c'est autre affaire, tout le monde le sait, mais préfère se taire. Les médecins ont peur de lui redonner des antidépresseurs, et si quelques membres du personnel essaient de le soutenir, ils ne peuvent s'empêcher de se sentir impuissants.



Icare regrette de ne pas avoir amené un livre en attendant sa visite au parloir. A chaque fois, il est impatient quand il est dans ce couloir. Il se retient pour essayer de tenir en place. Avec un de ses recueils de poésie, il aurait pu s'occuper l'esprit. Là, il a juste à observer le vieux carrelage aux joints crasseux et les chaussures trouées des gars qui lui passent devant lui.

Icare relève les yeux un instant. Ce n'est pas JP en charge du parloir aujourd'hui, cela est probablement son jour de repos. Il doit en avoir beaucoup d'ailleurs, parce qu'Icare le voit quasiment quotidiennement. C'est un des rares gardiens qui n'est pas souvent en arrêt maladie, donc il est sûr qu'il enchaîne les heures supplémentaires à un rythme effrayant. Il a du courage. Icare l'admire. Il l'aime bien aussi.

Il sait que si JP avait organisé le parloir, il lui aurait forcément laissé cinq minutes de plus. Mais non. C'est un nouveau maton, qu'Icare n'a jamais vu ici, qui se charge des visites. Le prisonnier guette ce surveillant du coin de l'œil. Assez grand, une barbe poivre et sel, un insupportable regard dur, une certaine prestance qui l'impose. Enfin, s'il peut impressionner les petits nouveaux ici, Icare ne lui daigne pas une importance particulière. Il en a marre d'attendre. Il veut voir Niels.

C'est ce qui explique aussi en grande partie son impatience en plus. Il a toujours eu seulement des visites de son père. Jamais de sa mère, et heureusement d'ailleurs parce qu'il aurait fait directement demi-tour après avoir mis un pied au parloir, ni d'amis, ni de personne. Du coup, il est encore plus heureux de revoir son meilleur ami. Niels le fait rire. Quand il revoit son père, c'est toujours émouvant. Il est content aussi de voir Niels, ça ne fait aucun doute. Mais l'atmosphère avec son ami restera toujours un peu plus légère.


Icare guette la pendule. Trois minutes à attendre encore. Il espère que l'administration fera entrer Niels à l'heure, parce que les horaires semblent rester un système assez aléatoire qui pèse sur les nerfs des prisonniers impatients. C'est presque aussi pénible que les demandes qu'Icare a dû adresser pour demander les visites de quelqu'un d'autre que son père, expliquer son lien avec Niels, et tout un tas de formalités dont il se lasse. Il a suffisamment de papiers à remplir avec son conseiller de réinsertion et son avocat qu'il se passerait volontiers de tout autre formulaire supplémentaire. Enfin il comprend qu'il n'a pas trop le choix non plus.

IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant