13 : Espérer ou crever.

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Icare regarde le recueil de poème entre ses mains. Il l'a déjà lu trois fois. Une première fois, pour découvrir les phrases, puis deux autres fois pour tenter de dessiner dans son esprit des images, de rêver quelques secondes en imaginant et écoutant les vers dans sa tête.

Il se souvient que gosse, il ne raffolait pas particulièrement de la poésie. Le coup de cœur datait de son année de lycée, en première littéraire. Icare n'avait jamais été un élève brillant, mais son père l'avait toujours poussé dans les études, l'encourageant chaque soir lorsqu'il faisait ses devoirs jusqu'à minuit, et le félicitait quand il réussissait, même de justesse, un examen.

Mais cette année de première, il avait eu un professeur de français passionné. Il leur avait fait tout lire, des romans, des essais, des pièces de théâtres, jusqu'aux poésies. Et au moment où la plupart des élèves décrochaient face à la complexité et au lyrisme des vers, Icare en était tombé amoureux. Peut-être qu'il n'arrivait pas à reconnaître les figures de styles, qu'il ne saisissait pas exactement la pensée du poète, mais ces poésies se peignaient dans son esprit. Il imaginait comme un enfant des scènes irréelles tirées des vers, voyant un pays lointain, des mélanges de couleurs, des objets qui prenaient vie, des sentiments qui devenaient humains, tout un monde qui le faisait rêver, loin de son quotidien maussade.

Il croyait que la poésie le sauverait de ses sales journées à traîner dans son quartier, de son destin injuste, et surtout de son impulsivité qu'il avait de plus en plus de mal à contenir. La poésie ne l'avait pas sauvé. Et pourtant aujourd'hui, il lui donne aveuglément une nouvelle chance. Sans doute parce qu'il l'aime trop.

Il pose le livre et ses doigts ne peuvent s'empêcher de triturer les bandes blanches qui entourent son bras. Il se met à les regarder avec fascination. Mais les autres ne font pas de même. Il se souvient des yeux effarés de la docteur quand il avait débarqué en urgence dans la salle de soins. Et quand elle bandait ses bras, il ne pouvait s'empêcher de pleurer. Il en avait marre d'être ici, il voulait s'endormir à jamais. Putain, il avait raté. C'est compliqué de s'endormir quand on vit déjà dans un cauchemar.

Il avait dû rester une nuit en observation avant de revenir le lendemain dans sa cellule, nettoyée minutieusement par les agents d'entretien pour éliminer le sang. Et il y avait eu une fouille, organisée par Jauris et deux autres gardiens. Ils avaient recherché de fond en comble les moindres objets illégaux qu'Icare aurait à nouveau caché dans sa cellule. Mais à part la lame de rasoir, il n'y avait rien. Alors, si Simon avait râlé que l'on fouille ainsi dans leur intimité, Icare n'avait pas protesté.

Et pourtant, quand Jauris avait empoigné ses précieux bouquins pour les feuilleter en quête d'une autre lame ou substance illicite, Icare s'était retenu d'intervenir. Même quand le surveillant avait souri en remarquant les annotations d'Icare sur les recueils de poésie et même quand il avait regardé d'un œil indiscret le courrier du détenu, Icare s'était fait invisible. Il savait surtout qu'avant de commettre l'irréparable, il avait gravement entravé les règles en tabassant un autre détenu. Et qu'il aurait forcément droit à une réunion chez le directeur du centre de détention pour parler de tout ça.




La porte de la cellule de prison que le jeune homme n'a pas quitté des deux derniers jours hormis pour aller à la bibliothèque s'ouvre soudainement, laissant apercevoir la silhouette démoniaque de Jauris. Icare, toujours assis sur le sol, dos à la fenêtre, retient son souffle face au gardien. Il lui ferait peur, lui et ses réactions imprévisibles. Et c'est bien ironique parce que le jeune reconnaît qu'il a des réactions bien pires.

- Debout. Tu es convoqué au bureau du directeur.

Icare défie les prunelles bleues de l'homme. Jauris sourit, amusé par l'air désinvolte de ce jeune prisonnier. Il aime quand il le regarde ainsi, avec insolence. C'est la carapace du prisonnier, il tente de se protéger des autres avec sa fougue indomptable. Icare ne se rend sans doute pas compte qu'ainsi, il ne fait monter que le désir que Jauris ressent pour lui. Il le veut parce qu'Icare lui semble interdit. Il sait que l'homme a toujours été attiré par les vices.

IcareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant